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En dehors des grandes souffrances de la vie (maladie grave, accident, guerre, misère affective…), et parmi les petits emmerdements que nous devons si souvent subir, je place en premier les passages chez le dentiste. S’il fallait une preuve de plus que Dieu n’existe pas, ou qu’il est un salaud qui se goberge de la douleur des hommes, ces heures obligées à se faire casser les dents, perforer les gencives et démonter la mâchoire seraient à elles seules suffisantes : la vie est une absurdité sans queue ni tête (tandis que nous avons trop de queue et trop de tête) dans laquelle on nous a jetés alors que nous ne sommes pas équipés pour l’affronter.
En changeant de région l’an passé, j’avais dû laisser un des rares praticiens qui savaient rendre ces moment acceptables, d’autant qu’il était doté de charmantes assistantes, que j’avais en partie pris comme modèle pour une nouvelle écrite en pleine folie covid (https://desvies.art/2020/05/22/le-dentiste-et-les-brigadistes/). Je sais aussi qu’au moins un des abonnés à ce blog est dentiste ; qu’il me pardonne cette pointe humoristique dans un corps professionnel qui exerce un métier des plus pénibles, dont nous avons grand besoin.
Bref, en arrivant dans une nouvelle ville, je dus retrouver un charcuteur buccal, car il était clair que mes emmerdements dentaires ne cesseraient que lorsque je serais six pieds sous terre, et encore, je demande à voir. J’avisai un cabinet à 100 mètres de mon appartement, qui selon les plaques abritaient 3 praticiens spécialisés. J’attendis plusieurs semaines et même plusieurs mois avant de me risquer dans cette antre, tâchant de me renseigner auprès des rares personnes avec qui je parlais dans le coin : le nombre de morts est-il supérieure à la moyenne ? La police est-elle souvent appelée ? Déplore-t-on des bagarres et des vitres cassées ? Apparemment non.
– Juste une fois, on a vu un tag rigolo, me dit une rombière bien dentée. En lettres énormes, il y avait marqué : « Un soir je vais te choper, et je te ferai ce que tu m’as fait, sans anesthésie. Tu vas hurler ». Ah oui, et puis une autre fois : « Je vais vous crever à coups de fraiseuse ». Moins bien.
À moitié rassuré – de toute façon, là ou ailleurs, je ne retrouverais pas mon bon Dr Pécas –, je finis par entrer dans le petit jardin du cabinet. Car je m’étais dit qu’un coup d’œil me donnerait une meilleure idée de l’endroit qu’un coup de fil. Je montai les quelques marches devant la maison. Un panneau sur la porte indiquait que le masque était obligatoire. J’avais prévu le coup et m’affublai. Puis je sonnai. Je dus réitérer mon coup de sonnette avant qu’un déclic se fasse entendre et que je puisse ouvrir la porte. N’était-ce pas une erreur ? La non-ouverture de la porte au premier coup n’était-elle pas un signe dont j’aurais dû tenir compte pour m’enfuir et ne jamais revenir ? Trop tard.
Une secrétaire à la tête de souris était planquée derrière un énorme panneau de protection en plexiglas. Je m’avançai en forçant un sourire :
– Bonjour.
– Désinfectez-vous les mains s’il vous plait.
Agréable, la souris. Je me dé…
– Vous venez pour quel docteur ?
– Eh bien, je ne sais pas.
Elle me regarda comme si je lui avais craché dessus. Je renchéris donc :
– J’habite la ville depuis peu. Est-ce qu’un des trois dentistes prend encore des clients ?
– Des patients.
– Des patients.
– Le docteur Oudile.
– Il est moins bon que les autres ?
Nouveau regard atterré. Pas du genre à sourire, la souris. Qu’avais-je besoin aussi de tenter l’humour avec quelqu’un de si rétif ? La peur sans doute.
– Ce serait juste pour un contrôle, une prise de contact.
– Mardi 16 avril à 17 h 30.
Je cherchai mon agenda, ce qui eut le don d’agacer la grognasse.
– Le 16, je suis en déplacement. Je peux le 15 au matin. Ou le 18 en fin d’après-midi.
– Le 24 à 9 heures.
Décidément, nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes. Je tournai une page.
– Je peux le 25 à 9 heures.
– 9 h 30.
– D’accord, le 25 à 9 h 30.
– Votre nom ?
Et c’est ainsi que je m’engageai dans une mauvaise voie, parce que je ne savais pas dire non. C’était pareil dans un magasin de vêtements ou de chaussures ; si j’entrais j’achetais, quand bien même rien ne me plaisait. Ô homme si faible dans un monde trop cruel…
Néanmoins j’eus de la chance pendant un an. Oudile était sympathique, et même très sympathique puisqu’il ne trouva rien à opérer lors de cette première visite. Je me demandai après coup si ce n’était pas une tactique pour appâter le client – le patient –, mais c’était toujours bon à prendre. Il effectua tout de même un « petit détartrage » pas trop désagréable. Un moment où je sautais en l’air, il me demanda :
– C’est sensible, là ?
– Non, répondis-je, c’est par précaution. Pour ne pas que vous oubliiez qu’il y a des nerfs là-dessous.
– Merci du rappel, on ne sait jamais, vous avez raison.
Lui au moins avait de l’humour, ou de l’empathie. Il me conseilla également de boucher le trou causé par une molaire manquante en haut à droite (toutes mes dents couronnées partaient les unes après les autres), conseil que m’avait également donné Pécas. J’indiquai que je n’étais pas prêt à la greffe d’os et à l’implant, ni physiquement ni financièrement.
– Le problème, c’est que vous n’êtes pas très costaud à gauche non plus.
– Je sais, mais j’ai adapté mes menus ; à midi taboulé compote, le soir soupe et gâteau de semoule.
– Alors vous pouvez tenir encore quelques années.
Nous nous séparâmes bons amis. Il m’avait dit de revenir dans six mois, mais j’attendis un an avant de prendre un second rendez-vous auprès de la musaraigne (réflexion faite, son pointu et son côté revêche l’apparentaient davantage à ce mammifère qu’à une souris).
La seconde séance commença aussi bien que la première, jusqu’à ce qu’Oudile annonce, après avoir fait une radio :
– C’est ce qui me semblait. Il y a une carie, là, en bas à gauche, entre les molaires. Sans doute à cause des aliments qui se coincent.
– C’est pas des couronnes, à cet endroit ?
– Non. Ce sont d’ailleurs vos deux seules dents, en dehors des incisives, qui ne sont pas couronnées.
– J’ai pas de bol.
– En même temps, c’est difficile d’avoir des caries sur des couronnes.
C’est ce que je disais, j’avais pas de bol. Mais la plus mauvaise nouvelle était à venir :
– C’est mon remplaçant qui vous soignera ça.
– Vous partez en vacances ?
– Non, je quitte la région, je me rapproche de chez moi.
– Merde alors ! Je commençais à m’habituer à vous.
– Vous vous habituerez à mon successeur. Un jeune charmant, vous verrez.
– Un être humain ? Je veux dire avec un cœur en état de marche, une vague idée de la compassion et de la douleur d’autrui ?
– Charmant.
J’étais marron. J’allais devoir laisser un parfait inconnu disposer de ma bouche, de mon physique, de ma vie.
J’étais si contrarié par cette nouvelle qu’Oudile dut écourter la séance de détartrage, tant j’étais crispé.
– Vos nerfs sont bizarrement placés, conclut-il.
– J’ai pas de chance, je vous dis.
Je saluai celui qui m’abandonnait, convins avec la teigne d’un prochain créneau pour mon exécution, et sortis de là tout à fait déprimé.
Malgré mes efforts pour ne pas y penser, mon angoisse ne cessa de monter au cours des 17 jours et nuits d’attente avant le rendez-vous avec le nouveau dentiste.
Le 2 mai à 9 heures arriva. Levé à l’aube, 3 heures, ayant effectué deux footings et trois séances de yoga pour tenter de me calmer, ayant petit-déjeuné puis vomi, m’étant lavé les dents six fois, je me pointai flageolant à la maison des horreurs.
– J’ai rendez-vous avec le successeur du regretté docteur Oudile, annoncé-je à la rigolote.
– Votre nom ?
– Moi-même.
Je savais qu’elle n’allait pas aimer, mais je savais aussi qu’elle n’avait qu’à regarder sur sa liste. Et puis je n’étais déjà plus moi-même justement.
– Allez vous asseoir.
– Où ?
– Oh, eh ?!
– Au fait, comment il s’appelle ?
– Qui ?!
– Le Président de la République.
Je crus qu’elle allait saisir le bloc de plexiglas pour me le fracasser sur le crâne et je m’éclipsai vers la salle d’attente. N’empêche, je ne connaissais pas le nom de mon exécuteur.
Une femme attendait, habillée en tailleur. Comme elle me sourit, je hasardai, à la recherche d’un peu de chaleur humaine :
– Vous êtes avec le nouveau, vous aussi ?
– Oh non ! Je suis une fidèle patiente du docteur Melenstein !
Elle avait l’air très fière, comme si elle avait décroché la lune.
– Quelle chance… répondis-je. Je peux venir avec vous ?
Son sourire fut crispé. Aussitôt après, elle s’en fut aux toilettes, qui donnaient dans la salle d’attente. Comme quoi, on a beau avoir un tailleur… Je me bouchai les oreilles. Elle revint et reprit sa place.
Peu après, un médecin cinquantenaire poussa la porte et appela sans élever la voix :
– Madame Prout-Prout.
La femme prit son sac et se leva en inclinant légèrement la tête dans ma direction. Sa croupe disparut devant le médecin qui l’avait laissée passer. Il avait l’air très calme ; c’est lui qu’il m’aurait fallu.
Je me retrouvai seul. Il y avait une fenêtre. Je pouvais peut-être m’enfuir. Je pesai le pour et le contre quand la porte s’ouvrit de nouveau, brusquement cette fois, avec force déplacement d’air. Un gaillard d’au moins 190 de haut pour 100 de large apparut et gueula mon nom.
Comme un ressort, je me levai. Même debout, j’étais tout petit.
– Docteur Valraux, enchanté.
– …chté…
Valraux ? Ce nom ne me disait rien qui vaille. Comme je trainais, il me poussa presque. Dans le couloir, je m’arrêtai. La porte du cabinet que je connaissais – Oh, Oudile, où es-tu ? – était ouverte, mais je m’enquis en montrant du doigt :
– Là ?
– Ben oui, là.
J’avançai à reculons. Quand nous fûmes enfermés, je le regardai. Il était vraiment costaud. Et ses pieds et ses mains étaient énormes. Dire que j’allais confier ma figure à ce type qui pouvait me la briser de deux doigts. Il avait des lunettes heureusement, ça indiquait un rien de civilisation.
– Posez votre masque là (un crochet ridicule était prévu à cet effet), défaites-vous et asseyez-vous dans le fauteuil.
J’étais déjà défait.
– Tout de suite ?
Il ne répondit pas, mais peut-être n’avais-je pas parlé assez fort.
Lui ne parlait pas, ce qui n’était pas bon signe. Les pires des dentistes sont les muets, qui n’expliquent pas, ne compatissent pas. La tension est extrême, tout est coincé, rien ne sort. Ulcère assuré, si ce n’est l’infarctus. J’aurais aimé qu’il me dise un truc, genre comme si j’étais un bébé : « Alors on a une petite carie ? Une toute petite carie de rien du tout et on a très peur ? Mais c’est rien, ça ! Mais non ! Mais oui, il est grand le garçon ! ». Ça aurait montré sa bienveillance, son humanité, ça m’aurait rassuré.
C’était trop demandé. Tandis qu’il descendait le fauteuil très bas – je crus que mes jambes allaient se renverser sur ma tête – je l’observais du coin de l’œil. Malgré ses grands airs, il n’avait pas l’air sûr de lui. Je le trouvais bruyant. Il ne posait pas les instruments, il les jetait. Il ne tirait pas les lampes et les tablettes, il les arrachait. Le matos n’allait pas durer longtemps avec ce type.
– Alors ! dit-il en descendant les lampes et en m’ouvrant la gueule.
Il commença à farfouiller comme un Chinois dans un plat de nouilles. Mais ses baguettes étaient en fer, et terriblement pointues. Il en planta une en bas à gauche. S’il touche un nerf, pensai-je, la décharge sera si forte que mon cœur n’y résistera pas.
– Ah oui, là y’a souci !
Non mais ? Il avait l’air content, ce con ! Je t’emmerde. J’ai les dents que je veux.
– Allez, on va essayer de régler ça.
Je ne sus comment interpréter le « essayer » : était-ce une modestie de bon aloi ? Ou un manque de confiance qui pourrait entrainer de sérieuses complications ? En cas de complications.
– Je vais vous faire une anesthésie.
– Générale, c’est possible ?
Il me piqua… dans la joue.
– Vous vous êtes pas trompé ?
– Ça va vous endormir tout le côté gauche en bas.
– C’est bien.
Si c’est pas positiver, ça ! J’étais fier de moi, ça allait bien se passer.
Il n’arrêtait pas de gigoter, alors qu’on n’avait même pas commencé.
– Vous devez sentir que vous vous engourdissez.
– Pas vraiment.
C’est vrai, je ne sentais pas de différence avant et après la piqûre. Pourquoi avait-il piqué dans la joue, aussi ? C’est la mâchoire qu’on visait d’habitude, voire la dent elle-même. En 50 ans de dentisterie, jamais on ne m’avait seringué ailleurs.
– Allez, on attaque !
Il rajusta les lampes, sa chaise à roulettes, tendis les bras comme un chef d’orchestre qui replace ses manches avant de lancer le premier mouvement, et alluma la perceuse. Le bruit était affreux. Il plongea dans ma bouche. Je hurlai. Il se retira aussitôt :
– Quoi ?! Pourquoi vous avez crié ?
– J’ai crié, moi ?
– Faut pas crier comme ça !
– Mais ça fait mal.
– Je ne vous ai pas touché !
Je sentais la sueur sous moi, à moins que ce soit autre chose. Combien de kilos allais-je perdre d’ici la fin du calvaire ?
Ça y est, il attaquait la dent. Les dents même, car deux étaient touchées. C’était bien ma veine : au lieu d’une demi-dent atteinte, je me payais deux fois un quart ; j’étais maudit.
Il s’arrêta au bout de vingt secondes :
– Ça va ?
– Ça va.
Héroïque. J’étais héroïque. Et il continua à me fraiser la tronche, par séquences de vingt secondes. Il changeait souvent de chignole, alternant turbines, contre-angles et autres micromoteurs, et les bruits étaient différents, les vibrations plus ou moins fortes. J’avais parfois l’impression qu’il ne savait pas comment procéder. Est-ce qu’il connaissait son boulot, au moins ? Je le regardai par en dessous et réalisai alors qu’il n’avait guère plus de 20 ans. Mon Dieu, comment n’avais-je pas réagi plus tôt ? On m’avait collé un étudiant ! Qui n’avait aucune pratique. Et si ça se trouve, c’était un tocard !
Je levai un bras, comme il l’avait suggéré en cas de problème. Il s’arrêta d’un air agacé :
– Je vous fais mal ?
– Non, enfin si bien sûr. Mais j’ai une question : est-ce que vous avez votre diplôme ?
– Bien sûr, pourquoi vous me demandez ça ?
– Vous êtes jeune.
– Ça vous inquiète ?
– Beaucoup.
– Écoutez, maintenant on a commencé, il faut finir. Vous pourrez toujours changer de dentiste après la séance. Et je crois que j’en serai plutôt content.
Je l’avais vexé. Oh putain ! Il allait me massacrer.
En effet, il prit une turbine qui provoquait de très fortes vibrations. Ma pauvre dent déjà bien entamée n’allait pas y survivre ; à tous les coups elle allait se déchausser. Mais pourquoi fallait-il tant de temps et d’énergie pour nettoyer 1 centimètre carré ?
Le plus désagréable était un de ses énormes doigts, avec lequel il poussait à mort sur ma commissure gauche ; à tous les coups j’étais déjà écorché.
– Je peux ouvrir la bouche tout cheul.
– Hein ?
Je le mordis un bon coup pour qu’il comprenne.
– Aïe !
– Tu l’as pas volé.
Il se saisit alors d’une roulette au bruit insupportablement strident, qu’il enfonça bien profond dans ma mâchoire. Je penchai la tête pour limiter l’impact, mais il me redressa d’une baffe.
– Fumier.
– Ta gueule.
Ses arrêts permanents nous faisaient perdre du temps et ajoutaient à mon stress. Depuis qu’il avait allumé les moteurs, j’étais pris de tremblements. À sa décharge, ça m’arrivait aussi avant, même chez ce bon Pécas. Je n’arrivais pas à contrôler. Sur toute la longueur du fauteuil, mes jambes tremblaient comme si j’étais allongé dans une essoreuse.
Il posa un temps les trucs à moteur et saisit une sorte de burin, ou de crochet, avec lequel il entreprit de finir de nettoyer la cavité qu’il avait creusée. Il enfonçait, raclait, retirait. Il crocheta un bout d’émail ou quelque chose de dur et tira si fort que je crus qu’il allait emporter toute la rangée de dents du bas gauche. J’étais en nage. Il retourna au fond du trou. En retirant cette fois, il perdit le contrôle de son instrument qui exécuta un triple salto dans les airs – un peu plus il me crevait l’œil – et retomba sur le carrelage dans un bruit de ferraille.
– Putain, merde !
C’était lui qui parlait, je précise. Croyez-vous que ce maladroit aurait pris la peine de nettoyer son outil ? Que tchi ! Il me le refourgua dans la gorge aussi sec. Et vas-y que je te farfouille et que je te dérouille. J’étais tombé sur un malade, un sadique, un monomaniaque.
Je cessai de lutter, espérant l’évanouissement. Ma tête bougeait au gré des impulsions qu’il lui donnait à l’intérieur, autant dire que je dodelinais méchamment. Il finit par dire :
– Je crois qu’on est bon. On va boucher. Ça va ?
– À ton avis, connard ?
– Oh, eh, restez poli, merde !
– Excusez-moi, c’est l’anesthésie, je croyais que j’avais parlé dans ma tête.
En m’accrochant des deux mains et en durcissant mes abdos comme jamais, je tentai de me redresser pour cracher un coup et me rincer la bouche, mais il me stoppa d’un bras ferme. Son biceps devant mes yeux me donna l’impression que j’allais percuter un cèdre.
– Je me rincerais bien.
– Non, rétorqua-t-il d’un air méchant tandis qu’il commençait à préparer sa mixture. Ça ne se fait plus.
– Comment ça ?
– Les cabinets ont tendance à supprimer les verres d’eau. À cause des germes et des bactéries.
– Mais…
Je ne renchéris pas, car toute la partie gauche de mon visage était paralysée, je me mordais à chaque mot. Plus d’eau ? Même pour les soins ? Encore un coup de l’horreur écologique. La fin était proche, le progrès une période révolue du passé.
Il me recala et commença à appliquer sa mixture, comme s’il remplissait un moule à gâteau. Le problème est que le moule que formaient mes dents étant cassé sur un côté – le côté qu’il avait pété, ce con –, il dut le renforcer avec un étau métallique, qui, dès qu’il le fixa, se mit à me déchirer la langue.
– Hevch !… Hevch…
– Ne bougez pas. C’est désagréable je sais, mais ça ne durera pas.
Le collier à clous étant serré, il saisit une sorte de stylo avec une collerette, ça je savais ce que c’était, Pécas m’avait expliqué, lui, une lampe à photopolymérisation, dont la source ultraviolette polymérisait (collait et durcissait) les matériaux et adhésifs.
Là encore, il ne me sembla pas très doué, s’y reprenant plusieurs fois, ajoutant de la pâte, redonnant un coup de polymérisation, encore un peu de pâte, encore un coup de lampe collante, puis appuyant longtemps avec son pouce aussi gros qu’une plante de pied pour fixer le tout. Et toujours ce serre-dents horrible qui entaillait ma langue.
Il l’enleva enfin et il fallut encore qu’il rabote, lime et ponce. Encore des bruits et des vibrations qui vrillaient mon crâne et déboussolaient mes sens.
– Ça y est ! s’exclama-t-il en appuyant sur le bouton pour redresser le fauteuil, repoussant sa tablette à instruments et donnant un coup de pied sur le sol pour reculer son tabouret et se dégager.
Revenu à l’horizontal, avec la tête légèrement plus haute que les jambes, je m’extirpai péniblement. Je me mis debout avec difficultés. Aussitôt, je vacillai et manquai tomber.
– Oh là ! dit-il avec un sourire mauvais.
Je dûs me rassoir, sur le fauteuil devant son bureau. Il tapait sur son ordinateur. J’avais du sang dans la bouche. Il me restait de l’Eludryl chez moi, mais mieux valait que j’aille aux urgences tout de suite.
– Bon. La prochaine fois on regardera les couronnes à droite, il y en a trois qui n’ont plus l’air très solides, il faudra vérifier tout ça.
Il est fou ? pensai-je. Il croit que je vais revenir ?
Quand il se leva pour me congédier, je me redressai prudemment, en m’appuyant sur le bureau, incapable de parler.
– N’oubliez pas votre masque.
Je saisis le truc et me dirigeai vers la porte qu’il avait ouverte.
Quand la musaraigne, après m’avoir délesté de 60 €, me demanda s’il fallait prévoir un autre rendez-vous, je m’entaillai un peu plus la lèvre inférieure en répondant :
– Oui, ailleurs.
Information aux abonné.e.s : devant écrire, réécrire ou corriger d’innombrables textes, j’ai du mal à trouver le temps pour écrire et travailler mes histoires littéraires, qui sont pourtant ce qui m’intéresse le plus. Mais c’est ainsi, les journées n’ont que 24 heures. Je vais donc réduire un peu mon rythme de publication et passer à 1 nouvelle tous les 15 jours. J’espère ne pas vous perdre pour autant, car vos lectures et relectures sont ma plus belle récompense. Merci de votre compréhension et à la prochaine histoire.
Et ben… j avais gardé les 3 dernière nouvelles pour les lires pendant mes congés je ne regrette pas 😁 je passe une excellente soirée ça fait du bien de rire merci plum!
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Bonjour Pierre-Yves. Merci pour ce cauchemar très drôle si, hélas, il n’y avait pas sans doute du vécu derrière tout ça. Je pardonne la pique gratuite sur » l’horreur écologique « . Bonne continuation, et continue à nous mettre de bonne ou de mauvaise humeur.
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Hier, premier vendredi depuis longtemps sans nouvelle de Pierre-Yves.
Je m’y étais habitué même si je publie rarement des commentaires.
Bien-sûr, le nouveau rythme me conviendra aussi très bien.
On peut d’ailleurs aussi relire les nouvelles précédentes.
C’est toujours agréable et intéressant.
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S’il n’y avait que le passage chez le dentiste !
Notre quotidien est encombré de contraintes dont on aimerait s’en affranchir.
On vous comprend, Éminent Écrivain !
Soyez rassuré, lire ou relire vos histoires depuis votre panthéon littéraire demeure un pur plaisir !
On ne vous remerciera jamais assez pour vos nouvelles, généreusement mises en ligne, des pépites de lecture si épiques … si héroïquement PY.
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je compatis…
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C’est pour cela que je ne peux pas déménager… Impossible de trouver un meilleur dentiste que mon cher docteur V. qui est le seul homme à m’avoir édentée et charcutée, mais en qui je fais entièrement confiance. Un orfèvre. Jamais je ne pourrais offrir un tel spectacle à un autre ou une autre… surtout après avoir lu ton texte !!!
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Très très drôle ! Je la relirai quand mon humeur baissera. Et j’arriverai peut-être à rire lors de ma prochaine séance chez le dentiste
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