Consultation d’un autre siècle

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– Docteur, je vais mal.

– Qu’est-ce qui va mal ?

– Tout. 

– Mais encore ?

– Le physique et le moral.

– Quel endroit du physique ?

– Partout.

– Un endroit plus douloureux que les autres ?

– La tête, peut-être.

– La tête abrite le physique et le moral.

– C’est pour ça.

Bien…

– Nous allons procéder par déduction. Mettez-vous en sous-vêtements et venez vous allonger sur la table s’il vous plait.

– Vous croyez ?

– Si vous avez mal partout, c’est un minimum.

La femme s’exécuta. Quand elle fut en place, le médecin saisit ses membres les uns après les autres et vérifia toutes les articulations.

– Bon, vous n’avez rien de cassé.

– Ah, mais je le savais !

– On n’est jamais trop prudent. Passons aux organes internes.

Il palpa toutes les parties du corps, ponctuant parfois ses pressions d’un « sensible, ici ? », auquel elle ne répondait ni oui ni non. En revanche, quand il mit une main dans sa culotte et appuya sur son sexe, elle se récria :

– Mais qu’est-ce que vous faites ?

– Vous m’avez dit que vous aviez mal partout, il faut bien que je regarde partout. 

– Mais pas ici, enfin !

Elle avait attrapé le poignet du docteur, mais le docteur écarta d’autorité la main qui voulait l’enserrer.

– Ne bougez pas.

Il appuya sur son pubis et en dessous :

– Pas de douleurs de ce côté-là ?

– Non !

– Ça vous fait du bien, quand je presse doucement, là ?

– Mais…

– Vous aimez ça, hein, cochonne ?

– Mais pas du tout ! Qu’est-ce que vous racontez ?

– Tsss… Tsss… 

Il passa à d’autres parties du corps puis conclut :

– Bon. Pas d’épanchements, pas de grosseurs, pas de torsions.

– Ah, mais je le savais !

– J’entends, Madame. Vous ne savez toujours pas où vous avez mal ?

– Partout, je vous dis !

– C’est vrai, excusez-moi. Ouvrez la bouche s’il vous plait ?

– Mais qu’est-ce que vous allez faire ?

– Vérifier votre gorge, votre langue, votre palais.

Craintive, elle entrouvrit la bouche qu’il dut forcer avec le bâton adapté. Pour se venger, il appuya fort et loin sur la langue, ce qui manqua la faire vomir.

– C’est désagréable.

– Au moins nous sommes rassurés, tout va bien de ce côté-là.

– Ah, mais je le savais !  

– Maintenant je le sais aussi.

Il regarda ses oreilles, ses narines – « C’est désagréable » – puis il prit sa tête des deux mains, la leva, la tourna.

– Vous m’avez bien dit que c’est la tête qui était la plus douloureuse ?

– Oui. Enfin… Qu’est-ce que vous faites ?

– Je vérifie l’état des vertèbres cervicales. Et je cherche les tumeurs.

– Les tumeurs ? À cet endroit ?

– Bien sûr. On trouve souvent des tumeurs au milieu des cervicales. Très dangereuses. Et très douloureuses.

– Vous êtes sûr ?

– Absolument. 

Il appuyait avec trois doigts de part et d’autre du cou.

– Mais…

– Taisez-vous. Je dois me concentrer.

– Mais…

– Chut, je vous dis.

Il la tritura un moment. Puis :

– Non, ça va. Il y a une malformation à la quatrième, mais ce doit être de naissance. 

– Une malformation ? Mais vous êtes fou !

– Pas du tout. Votre vertèbre cervicale C4 n’est pas dans l’alignement des autres. Vous avez une bosse.

– C’est bien la première fois qu’on me dit ça. Traitez-moi de bossue tant que vous y êtes !

– Une petite bossue alors… En tout cas, ce n’est pas cette bosse qui vous fait mal.

– Ah, mais je le savais !

– Redressez-vous et asseyez-vous.

– Mais qu’est-ce que vous allez faire ?

– Écouter votre cœur.

Elle se mit jambes pendantes tandis qu’il prenait son stéthoscope. 

– Respirez bien fort, la bouche ouverte.

Elle respira normalement.

– Plus fort. 

– Pfff… C’est pénible.

– Vous avez eu un problème cardiaque ?

– Qu’est-ce que vous racontez ? Jamais de la vie !

– C’était juste pour savoir.

– Vous entendez quelque chose ?

– Peut-être. Vous avez souvent mal au cœur ?

– Jamais. 

– Je croyais que vous aviez mal partout. 

– Pas au cœur. Pas au cœur.

– Bon, venez vous peser.

– Oh, c’est pas la peine.

– C’est moi le médecin. 

Elle monta de mauvaise grâce sur la balance.

– 62. Vous avez grossi.

– Pas du tout.

– Hmmm… Mais votre peau est correcte, vous ne faites pas vos 60 ans ; on vous donnerait facilement 5 de moins.

– Mais je n’ai que 49 ans !

– Ah bon ?

Il lui claqua une fesse :

– Bon, allez, rhabillez-vous. 

Pendant qu’elle reprenait ses vêtements et ses esprits en maugréant, il rédigea une ordonnance, qu’il lui tendit quand, habillée, elle fut assise devant lui. 

– Je vous ai mis un fortifiant, un relaxant, un tonifiant et un tranquillisant. Comme ça on est tranquille. 

– Mais qu’est-ce que j’ai ?

– Rien, Madame.

– Comment ça, rien ? Mais vous ne comprenez pas ? C’est une sensation, docteur. Une sensation !

– Je ne soigne pas les sensations, Madame. 

Il se leva et alla ouvrir la porte qui menait au secrétariat. Elle prenait le temps de fermer son sac et avançait à reculons :

– Au revoir, Madame.

– Je suis déçue, Docteur.

– Je vous conchie, Madame.

– Oh !… Je ne reviendrai plus.

– Il vaut mieux, car je ne vous reprendrai pas.

– Oh !… C’est un monde, ça… Mais où est-ce qu’on va, où est-ce qu’on va ?…

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