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Le petit garçon ne se réjouissait pas de ce week-end chez des « amis », plus exactement chez des amis de ses parents qui avaient des enfants. On lui avait présenté ce déplacement comme une opportunité qu’il ne fallait pas manquer, mais il n’était qu’à moitié convaincu. Il ne les connaissait pas bien, ces gens. Les deux garçons, un de son âge et un plus grand, ne lui étaient jamais apparus comme des copains. La mère n’était pas méchante, mais elle parlait fort et riait tout le temps. Quant au père, il ne se souvenait pas de l’avoir vu ; quoi qu’il en soit, c’était un père.
Il avait été convenu qu’ils le prendraient samedi à 11 h 30 à la sortie de l’école, que l’on « monterait » à la campagne et que ses parents viendraient déjeuner le dimanche midi avant de le ramener le dimanche vers 17 heures. Ces 24 heures entre samedi midi et dimanche midi sans ses parents chez des étrangers, dans un lieu inconnu, étaient angoissantes : que ferait-on ? Qu’allait-on manger ? Où dormirait-on ? Il ne savait rien de tout ça, on ne lui avait donné aucune information. Et il sentait bien qu’une fois là-bas, il ne serait pas en mesure de décider. Il dépendrait totalement de personnes qu’il ne connaissait pas ; une situation très dangereuse.
Le trajet ne se passa pas trop mal. Il était assis à l’arrière avec les deux enfants, les parents devant. On lui avait laissé une fenêtre. La mère le questionna un peu, pas trop. De là où il était, il pouvait rougir sans qu’on le voie.
La maison ne lui parut pas très jolie. Un vilain crépi gris recouvrait les murs et l’herbe autour était haute. Son « copain » lui fit visiter, l’extérieur d’abord, l’intérieur ensuite. Ils dormiraient dans la même chambre, qui contenait deux lits.
– T’as qu’à poser ton sac ici.
Ils redescendirent. Ils commencèrent par aller au hameau voisin, juste Vincent et lui. Un chien les embêta, du moins l’embêta lui, pas Vincent qui semblait le connaître et qui n’avait pas peur. Ils se dirigèrent ensuite vers une mare. Vincent allait d’un point à un autre, lui montrait des tas de choses qu’il ne voyait pas, lui parlait de grenouilles, de têtards et de nénuphars ; il avait du mal à suivre. Ils montèrent sur une sorte de colline ensuite, le passage dans les bois ne lui déplut pas, il aimait les arbres.
Ils revinrent à la maison pour le goûter, après lequel ils jouèrent au ballon, à 5, et même à 7 quand des voisins, père et fils, se joignirent à eux. Le père de Vincent jouait comme un enfant, mais avec une force d’adulte. Le petit garçon n’osait pas contrer ses tirs ou compliquer ses dribbles. Ce fut quand même un bon moment, parce qu’il n’était pas trop maladroit avec un ballon.
Le dîner fut plus délicat. Il y avait du poisson, avec des arêtes, et il n’aimait pas le poisson. Il réussit à en manger une partie et on ne l’obligea pas à finir. Il avait quand même un peu mal au ventre et il dut aller aux toilettes sitôt sorti de table.
Le soir, sur la grande table en bois de la salle à manger réchauffée par un feu qu’on avait allumé, ils jouèrent à un jeu de société. Il était moins enthousiaste que ses hôtes, visiblement habitués à ce type de parties auxquelles ils associaient de bons souvenirs. Mais enfin c’était pas mal et il se comporta honorablement.
Il fallut aller se coucher, du moins eux deux, les petits, qui n’avaient que 10 ans, mais d’abord se doucher et se brosser les dents. On le fit passer le premier dans l’unique salle de bains.
En sortant, il se rendit compte que la disposition des pièces à l’étage était biscornue. Il fallait passer par la salle de bains pour aller aux toilettes et par la chambre des parents pour se rendre dans la chambre de Vincent, où il allait devoir dormir cette nuit-là. Le frère aîné de Vincent, Benoît, avait sa chambre à lui, au bout du couloir.
Les deux garçons se couchèrent. Ils ne se parlèrent pas. Quel contraste avec les soirées chez les cousins, où l’on ne pouvait pas s’arrêter de parler, même après que les parents fussent intervenus pour calmer les troupes ! On parlait encore quand le sommeil finissait par vous prendre. Là, Vincent et lui ne trouvaient rien à se dire. Il le savait, ce n’était pas un copain.
Malgré le silence entre eux, il mit beaucoup de temps à s’endormir. Il entendit les parents monter, s’installer et chuchoter dans la chambre contiguë, juste derrière la porte. C’était désagréable. Il avait l’impression d’être épié, et de pouvoir les épier.
Il se réveilla en pleine nuit. Était-il 2 heures ou 4 heures ? Il n’aurait su le dire. Le problème est qu’il avait très envie de faire pipi. Le problème sur le problème était que pour aller faire pipi il fallait passer par la chambre des parents. Ce qui était impossible. Cela ne se faisait pas, surtout quand ces parents n’étaient pas les vôtres. Non, impossible.
Il devait se retenir. D’où venait ce besoin urgent ? Cela ne lui arrivait jamais. Chez lui, il dormait sans se soucier de quoi que ce soit. Que se passait-il, ici ? Il le savait, il ne fallait pas venir, ce week-end était une erreur qu’on l’avait obligé à commettre, cette maison était maudite et il n’avait rien de commun avec ces gens.
L’envie était pressante, très pressante. Il n’allait pas tenir. Il s’agita, fit un peu de bruit, dans l’espoir plus ou moins conscient de réveiller Vincent, qui peut-être trouverait une solution. Ou peut-être pourraient-ils se lever tôt tous les deux, et alors le problème serait réglé ?
Vincent ne se réveilla pas. Et lui, il allait exploser. Il fixait la porte qui reliait les deux chambres. Derrière, il y avait les parents. Non, il ne pouvait pas ouvrir cette porte et traverser leur chambre, c’était impossible. Mais qui avait pu construire une maison pareille ? Au désespoir, il se tortillait en tous sens.
Il crut trouver une solution, qui n’en était pas une, mais qui permettrait de limiter les dégâts. Il tira le dessus de lit en velours et le mit en boule. Il se mit à genoux sur le lit, baissa son bas de pyjama, ramena la boule de tissu vers lui et, bien au milieu, avec une bonne épaisseur dessous, il se soulagea enfin, vidant sa vessie pour échapper à la torture qu’elle lui infligeait.
La besogne accomplie, il « referma » la boule, qu’il plaça dans le coin du lit en bas à gauche. Il se rendormit aussitôt.
Quand il se réveilla, Vincent le regardait. Surtout, Vincent grimaçait en tordant le nez. Le petit garçon regarda Vincent, vit le dessus de lit en boule, se souvint, et comprit que Vincent avait compris. Ni l’un ni l’autre n’évoquèrent quoi que ce soit.
– On se lève ? finit par dire Vincent.
Ils se levèrent, s’habillèrent. Par bonheur, les parents étaient déjà descendus, les enfants traversèrent leur chambre sans difficultés. Il se remémora la peur que lui avait causée cette chambre au cours de la nuit.
Il eut l’impression d’être dans un brouillard toute la matinée. Le petit-déjeuner, le ping-pong, la corvée de bois, la voiture, le marché, la pâtisserie, la préparation de la table dehors pour le repas de midi… Il suivait de loin, il était long à réagir, il ne s’impliquait pas. Il se sentait en faute, faute qu’il avait commise parce qu’il était prisonnier, non pas l’inverse.
La sensation du matin n’était pourtant rien à côté de l’opprobre qui s’abattit sur lui quand ses parents arrivèrent. La conscience de sa faute l’empêcha d’apprécier les retrouvailles, il n’y eut pas d’effusions. Les parents de Vincent firent faire le tour de la maison à ses parents à lui, qui demandèrent :
– Alors, tout s’est bien passé ?
La mère de Vincent répondit :
– Très bien. Il y a juste eu un petit accident cette nuit, mais il est charmant.
À ce moment-là, alors qu’ils contournaient la maison par l’arrière, apparut l’étendage à linge, sorte de portique vert sombre plus long que haut. Là, sur chacun des quatre fils tendus entre les supports, se trouvaient non seulement le dessus de lit dans lequel il s’était soulagé, mais aussi le drap du dessus, la drap du dessous, la couverture et la taie d’oreiller. La mère avait tout lavé. La concomitance des mots « petit accident cette nuit » et de ces draps qui séchaient au vent le frappèrent comme un coup au cœur. Maintenant, tout le monde savait, y compris ceux qui n’auraient jamais dû savoir : ses parents.
Pour eux comme pour les amis, pour les adultes comme pour les enfants, il était celui qui pissait au lit. Et il le resterait. Il n’était pas sûr de pouvoir s’en remettre un jour.
Bravo, encore une belle histoire, émouvante.
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Pauvre petit garçon dont nous ne connaissons pas le prénom…
Pas toujours facile l’enfance et pas facile d’être des parents parfaits.
A la semaine prochaine pour une nouvelle moins triste.
Amicalement.
Joëlle
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Charmant!!!
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