Mort d’un pourri

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Une « tragédie ». Le mot était du philosophe Michel Onfray. Et il n’était pas trop fort. La présence du dénommé Cyril Hanouna sur une chaîne de télévision à une heure de grande écoute était une tragédie. Qu’il ait en outre été choisi par le gouvernement comme un des médiateurs pour le « grand débat » gilets jaunes en disait long sur la décadence du pays.

  La bêtise, le narcissisme et l’égoïsme de ce type détruisaient chaque soir un peu de l’humanité des deux millions de personnes qui le regardaient, et des autres millions qui côtoyaient ces malheureux. À coups de blagues ineptes et de ricanements permanents, il élevait la moquerie au rang de savoir-vivre et laissait croire qu’il n’y avait pas de meilleure manière de s’amuser que de brocarder ceux qui agissent. En humiliant ses chroniqueurs et ses invités, certes aussi lamentables que lui, il attisait le voyeurisme et le sadisme des téléspectateurs. À force d’inculture, il réduisait les capacités cérébrales de familles entières, ramenant l’intelligence à une incongruité. Par son nombrilisme et l’étroitesse de son champ de vision, il anéantissait les valeurs indispensables à la construction des personnes comme à la cohérence d’une société.

  Comment ne voyait-on pas le lien entre les éructations de ce pantin et la montée du populisme anti-démocratique ? Comment ne voyait-on pas les conséquences d’une telle émission dans la déstructuration des individus et la violence qui en découlait ? Comment ne voyait-on pas que la frustration et le ressentiment qu’il engendrait chaque soir nourrissaient le terrorisme et la délinquance plus sûrement que les prédicateurs de tous poils ?

  Il fallait agir. Il n’était peut-être pas trop tard. La mise au silence d’Hanouna ne résoudrait pas tous les problèmes, mais éliminerait un nuisible et résonnerait comme un avertissement. Avec un peu de chance, elle libérerait les peurs et on pourrait constituer une armée prête à défendre la République. En tout cas, tant que les médias, les people et l’opinion dérouleraient le tapis rouge à ce genre de pourris gâtés irresponsables, la guerre devrait continuer.

  Restait à choisir la méthode, et le moyen. Pour que le geste ait le retentissement voulu, qu’il apparaisse comme un acte politique et non pas comme un règlement de compte privé ou crapuleux, il fallait lui donner de la visibilité. Pour qu’il soit vu comme un acte fondateur et non pas isolé, on devait se tenir prêt à l’expliquer. Et si l’élite parisienne revendiquait une fois de plus la liberté d’expression, utilisant ce passe-partout pour justifier son renoncement face aux fossoyeurs de la démocratie, on montrerait la logique du combat et de l’engagement sur le long terme. La guerre, on la déclarerait.

  Benjamin trouva vite le mode opératoire. Il agirait en direct, devant les caméras, là où sévissait l’horrible, qui périrait là où il avait péché. La question qui se posait était celle de la fuite, après l’acte. S’il pouvait éviter de se faire prendre, c’était préférable. Il trouva la solution un soir. Quelques jours après, il intervint.

  Il était parvenu à obtenir une place dans le public. Il avait pris des vitamines, non pas pour se donner le courage d’agir – il n’avait pas peur –, mais pour supporter l’ambiance atroce de l’émission, pour simuler des éclats de rire toutes les 30 secondes et ne pas se distinguer des tarés sélectionnés pour le poubelle show, pour éviter qu’on le sorte en raison d’une attitude pas suffisamment débile. Car le mimétisme dans les contorsions et l’applaudissement sur commande étaient des obligations absolues dans cette dictature de l’imbécillité.

  L’émission démarra et Benjamin fut sidéré de la cacophonie régnant sur le plateau, de l’état d’urgence qui semblait régenter les mouvements et les mots des techniciens, des hôtesses et des guignols qui passaient à l’écran, sans parler du maître de l’enfer, enfant-roi tyrannique, trépignant et éructant, shooté à la cocaïne, à la bêtise triple dose et à la vénération de lui-même. Non, il n’y avait pas à hésiter une seconde, la liquidation était une impérieuse nécessité.

  Alors que le monstre venait d’insulter en direct une auditrice qui lui disait habiter en Loire-Atlantique – « Mais où, espèce de connasse ? » –, Benjamin se leva, sortit la mini-sarbacane de sa poche, la mit à sa bouche en la cachant dans une main, souffla. La fléchette électronique à reconnaissance faciale alla comme prévu se ficher dans la tempe du pantin, qui se figea dans une mimique grotesque, puis porta la main à sa tête. Cyril Hanouna regarda sidéré le sang sur ses doigts, s’écroula. Des cris s’élevèrent.

  Benjamin passa à la phase deux : la balle de tennis qu’il fit rouler vers le centre du plateau explosa au bout de 7 secondes et libéra un fumigène. Les tarés hurlèrent, cherchèrent à quitter les lieux. Il se leva aussi, se dirigea vers la sortie. Il passa alors à la phase trois : avec le téléphone portable acheté pour l’occasion, il envoya les tweets qu’il avait préparés à l’attention du journal Le Monde, de l’Agence France-Presse, du Ministère de l’Éducation Nationale et du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Le message disait : « Cyril Hanouna ne nuira plus. Saluons ce geste courageux pour empêcher un criminel de poursuivre ses méfaits. Et unissons nos forces pour sauver les individus qui peuvent encore l’être en éliminant ceux qui détruisent leur cœur et leur cerveau ».

  Dans la rue, Benjamin s’en alla. Il était dur d’entrer en certains endroits, mais on en sortait avec une facilité déconcertante. Bien joué. L’acte fondateur était commis, il fallait maintenant gérer la com, choisir les mots et les images, afin de mobiliser une armée contre les destructeurs de la civilisation.

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