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– Je ne peux pas être votre prof de S.V.T. et porter ce masque, affirma Catherine Bellus en sortant l’objet de son cartable, au début de son cours post-confinement. Quelqu’un peut me dire pourquoi ?
15 paires d’yeux la regardèrent d’un air morne.
– Allez ! Pourquoi y a-t-il incompatibilité entre ce masque que je tiens dans mes doigts et ma fonction ?
Un bras soutenu par une main se leva :
– Mounir ?
– Parce que vous vous la pétez ?
Rires, étouffés mais joyeux.
– C’est élégamment formulé. Non, je n’ai pas l’impression de satisfaire mon orgueil ou ma vanité en refusant de porter ce masque. Déborah, oui ?
– Parce que c’est pas obligatoire ?
– Tu as raison, ce n’est pas obligatoire à partir du moment où nous pouvons respecter la distanciation d’au moins un mètre entre nous dans la salle de classe, ce qui est le cas. Mais ce n’est pas la raison de l’incompatibilité. Pensez à la matière que j’enseigne.
Les yeux roulèrent, les têtes oscillèrent et les corps reculèrent. Elle avait dit « Pensez », l’effort paraissait insurmontable. Un éclair, pourtant, fournit l’énergie nécessaire à Anastasia pour s’exclamer :
– Parce que c’est pas scientifique !
– On progresse. Qu’est-ce qui n’est pas scientifique ?
– Ben, on n’est pas sûr que le masque protège du virus.
– Exact. L’Organisation Mondiale de la Santé ne recommande le port du masque que pour les personnes qui présentent des symptômes ou qui s’occupent des malades. Voici ce que disait le chef des épidémies de l’OMS le 30 mars 2020 : « Il n’y a aucune preuve spécifique suggérant que le port de masques par la population de masse présente un avantage particulier. En fait, certaines preuves suggèrent le contraire ».
– Mdame !
– Alexis ?
– Le problème, c’est si on se touche le visage en l’enlevant ou en le mettant. Ou qu’on le change pas assez souvent, ou que quand on l’enlève on le met pas assez vite à la poubelle.
– Exact. Djebril ?
– Y’a différents masques. Les plus efficaces, c’est les FFP2.
– Exact. Ces masques FFP2 filtrent environ 94 % des particules de 0,6 micromètre (0,0006 millimètre). Ils empêchent donc d’entrer en contact avec des postillons ou des gouttelettes éventuellement porteuses du coronavirus, ainsi qu’avec l’aérosol, c’est-à-dire le résidu sec après l’évaporation des gouttelettes.
– Mais c’est pas ces masques-là qu’on a, nous, la population.
– En effet. Voici maintenant ce que disait le professeur de médecine italien, Stefano Montanari, quarante années d’expérience. Selon lui, les mesures barrières sont aussi inefficaces que, je cite, « un grillage en bois contre les moustiques… Non seulement les masques, les gants et le confinement ne servent à rien contre l’épidémie, mais il n’y aura jamais de vaccin… À quoi bon porter des gants qui sont un véritable foyer de virus, alors que notre peau est intelligente ? Quant au masque, si celui qui le porte est contaminé, il devra le changer toutes les deux ou trois minutes, sinon cela ne servirait à rien… ».
– Vous inventez pas, là, M’dame, pour vous faire mousser ?
Rires, étouffés mais joyeux.
– Non Mounir. Pas plus que je ne me la pète je ne me mousse. Du moins pas en vous assénant de fausses informations. Justement, Anastasia nous a dit que je ne portais pas le masque parce que ce n’était pas scientifique. Qu’est-ce qu’une démarche scientifique ?
Deux matheux levèrent la main.
– Kim ?
– Une démarche scientifique, c’est partir d’observations, les confronter avec d’autres observations, et en tirer des conclusions, ou des indications.
– Excellente définition. Simple et Juste. Moussa ?
– La démarche scientifique, c’est la quête de la connaissance, en recherchant les preuves qui vont confirmer ou infirmer une hypothèse.
– Excellent également. Les deux définitions se complètent. Donc, nous avons vu que selon deux scientifiques au moins, le port du masque ne prémunissait pas contre le virus. D’autres affirment le contraire. Nous essayerons de creuser ce point, pour augmenter nos observations et donc être plus sûrs de nos déductions. Mais pour l’instant avançons. Il y a deux autres constats, scientifiques eux aussi, qui m’amènent à ne pas porter ce masque devant vous.
Ils semblaient réveillés. Sans doute par le mélange de jeu, de raisonnement et d’opposition à la norme qu’elle leur proposait. Elle choisit parmi trois bras celui appartenant à une élève qui ne s’était pas exprimée jusque-là :
– Juliette ?
– Il y a peu de chance que le corona soit présent dans la classe et au lycée. Donc se protéger contre quelque chose qui n’existe pas, ce n’est pas scientifique. Ce n’est même pas logique.
– C’est débile !
– Plutôt que débile, Baptise, comment dirait Camus ?
– Absurde ! lança Anastasia.
– Voilà. Juliette a raison. Il y a fort peu de chances, en effet, que, ce 10 juin, le virus soit présent dans notre lycée de Toulouse. Pourquoi ?
Quatre doigts se levèrent, qu’elle désigna l’un après l’autre :
– On n’ est pas une région touchée.
– Y’a presque plus de cas en France.
– Ma tante travaille à Rangueuil : elle m’a dit que l’hôpital a jamais été aussi calme que pendant le confinement. Ils avaient plein de lits vides et de médecins qui s’ennuyaient.
– Des cousins et des oncles et tantes sont venus à la maison, dimanche pour un anniversaire, on était 18. Eh ben aucun de nous connaissait une seule personne qui avait eu le CoVid.
La prof reprit la parole :
– Vos observations, que nous étayerons avec des statistiques émanant de l’Institut Pasteur, de l’Agence Régionale de Santé ou de l’INSEE par exemple, semblent montrer qu’en effet le risque est très faible d’une présence du virus dans l’établissement. Nous avons donc deux raisons scientifiques de ne pas porter le masque : son efficacité douteuse, l’absence du danger contre lequel nous devrions nous défendre. Il y en a une troisième. Qui a une idée ?
Certains se tortillèrent, d’autres restèrent immobiles, mais les quinze réfléchissaient, elle le voyait sur leur visage. C’était beau ! Elle regrettait qu’ils ne soient pas là tous les trente.
– Alors ? Pensez à l’âge.
Aussitôt, la moitié des mains se levèrent, mais Clémence ne put se retenir :
– On est jeunes et y’a que les vieux qui meurent !
– Y’a une fille de 16 ans qui est morte.
– C’est la seule, c’était une exception, elle avait pris des trucs qu’il fallait pas.
– Oui, mais on peut transmettre la maladie.
– Non.
– Si.
– Bien, dit la prof après que chacun se fût exprimé. On voit ici qu’il va nous falloir des mesures plus précises pour étayer notre avis. Pensez à ça : la science, c’est avant tout la modestie. C’est tâtonner, se tromper, recommencer, prendre un autre angle, élargir sa base.
Sur cette question de l’âge, je vous transmets les informations suivantes : parmi les morts du CoVid en France entre mi-mars et fin avril, 0 % avaient moins de 16 ans, 1 % moins de 45 ans, 9 % moins de 65 ans. L’âge moyen des personnes décédées en France était de 81,2 ans. Le virus touche donc très peu les jeunes. L’âge est un facteur aggravant pour deux raisons semble-t-il : plus on vieillit, plus on est faibles et plus on a de pathologies (on parle d’immunosénescence). De plus, les récepteurs à la surface des cellules auxquels s’accroche le virus pour entrer dans la cellule seraient plus présents chez les personnes âgées.
Djebril leva la main et sur un signe de la prof s’exprima :
– Donc, moi j’ai 17 ans, j’ai 1 chance sur 100 de mourir du corona ?
– Vous m’avez tous entendue. Est-ce que Djebril a raison ?
Des bras allaient se lever, puis s’arrêtèrent. Il y avait de l’hésitation dans l’air. Kim soudain tendit une main bien haut.
– Kim ?
– Le pourcentage, c’est pas sur la population, c’est sur le nombre de morts liées au CoVid. Donc, ça fait très peu.
– Bravo. Prenons le chiffre actuel, environ 29 000 morts en France liés au CoVid. Si 1 % a moins de 45 ans, combien cela fait ? Moussa ?
– 290. Et pour les moins de 16 ans, 0 % ça fait 0.
– Ouais, même si on a 18 ans, on est quand même plus proche de 16 que de 45. On risque rien, ponctua Baptiste.
– En effet Baptiste, vous ne risquez rien si vous n’avez pas de problèmes de santé particuliers type obésité, hypertension ou diabète. La plupart des décès liés aux CoVid des personnes de moins de 65 ans s’expliquent par ce qu’on appelle la comorbidité, c’est-à-dire que ces personnes ne seraient pas mortes si elle n’avaient souffert que du CoVid.
Profitant d’un léger relâchement, la prof en profita pour vérifier les notions de pourcentages et de proportionnalités :
– Exercice subsidiaire : quel pays est le plus touché par le coronavirus : celui qui a 30 000 morts sur 67 millions ou celui qui en a 115 000 sur 330 millions ?
Les cerveaux moulinèrent, puis les bras se levèrent.
– Olga ?
– Le premier pays est plus touché que le deuxième : il a à peu près quatre fois moins de morts, mais il a à peu près 5 fois moins d’habitants.
– Exact. Et si l’on veut les pourcentages précis, quel est la formule ?
– Valeur partielle sur valeur totale, multipliée par 100. Ici 30 000 sur 67 millions, X 100. Et 115 000 sur 330 millions, X 100.
– Excellent. Et quels sont ces deux pays ?
– Tous les doigts se levèrent.
– Mathias ?
– La France et les États-Unis.
– Exact.
– Mais, Mdame, on nous raconte que des salamalecs, alors ! s’exclama Mounir.
Il y eut des rires, mais la classe partageait son indignation.
– On peut facilement se faire manipuler par les médias, ou par ceux qui ne donnent qu’une partie de la vérité. Réfléchissez quand vous entendez quelque chose, mettez en perspective. Comparez, corrélez. On pourra revenir là-dessus si vous voulez.
Le brouhaha dura quelques minutes, puis la voix de Djebril émergea :
– Et la contagion ? On entend tout et son contraire là-dessus !
La professeure reprit le fil de la discussion.
– Les premières observations en Chine, en Corée, en Italie, début mars, montraient déjà que la maladie ne se transmettait pas par les enfants. Mais il a fallu du temps pour qu’on le mesure, plus encore pour qu’on l’admette. Je vous soumets les résultats de deux études parmi d’autres : une de Santé Publique France, bizarrement parue dans une revue américaine mais dévoilée par la chaîne LCI, a montré qu’un enfant de 9 ans, testé positif en Haute-Savoie (aucun symptôme), en contact avec 3 écoles plus une école de ski dans les 15 jours précédant, au total 172 personnes, en a contaminé… 0. Même pas ses deux frères.
Une autre étude, de la Société française de pédiatrie, menée en Île-de-France par 27 pédiatres du 14 avril au 12 mai prouve que les enfants sont « de tout petits contaminateurs ». Les tests sérologiques ont en effet montré que 10 % des enfants d’Île-de-France, région la plus touchée, ont eu le nouveau coronavirus. Seuls 1,8 % avait un test PCR positif lorsqu’ils ont été dépistés. « Mais, je cite le professeur Cohen, responsable de l’étude, en regardant ce dernier chiffre de plus près, on a été réellement surpris de voir que seul 0,6 % était contagieux ». Il précise qu’aucun de ces enfants n’est mort, aucun n’a dû être réanimé, aucun n’a eu de symptômes graves, ce qui confirme notre observation précédente.
– Donc on ne risque pas de transmettre le virus à nos parents ? questionna Juliette.
– Enfants de 16-17 ans vivant en bonne santé à Toulouse, en effet, vous ne risquez pas de transmettre le virus à vos parents.
– En plus, nos parents, ils ont moins de 50 ans, donc même si on leur transmettait, ils risqueraient presque rien eux non plus, affirma Déborah.
– Moi, mon père il a 55 !
– Ma mère a 53 !
Il y eut des rires et des plaisanteries, bienvenues après ce moment de concentration.
– Donc vous avez compris que je ne peux pas vous enseigner les sciences et avoir un comportement guidé par la peur et l’instinct grégaire. Quelqu’un voit-il d’autres raisons scientifiques à l’inutilité du masque ?
Tess, qui ne s’était pas encore exprimée, demanda la parole :
– Le masque empêche de respirer. J’ai une tante, qui doit le porter toute la journée dans son travail, le soir elle a très mal à la tête et elle se couche à 8 heures.
– Oui, moi aussi, renchérit Louna, ma mère, quand elle rentre, elle en peut plus. D’ailleurs à son travail elle le baisse en dessous de son nez discrètement, sans ça elle tomberait dans les pommes.
– Voilà, deux remarques intéressantes, nota l’enseignante. À partir de constatations empiriques, vous découvrez un aspect du port du masque passé sous silence jusque-là. Essayez de voir dans les prochains jours si ce phénomène est observé ailleurs et relayé. Anastasia ?
– Il y a aussi le problème des déchets. On voit des masques jetés un peu partout. C’est sale, en plus c’est mauvais pour l’environnement. Ils ne sont pas biodégradables.
– Exact. Les services de nettoyage et de traitement des déchets sont très embêtés. Sans parler du gaspillage que cela représente. Baptiste ?
– Moi, j’ai lu hier un truc qui m’a bien fait marrer…
– … une information qui m’a interpelé, oui ?
– Eh ben, les masques, les entreprises elles arrivent plus à les vendre. On en a trop fabriqués ! En France, il y en a déjà 100 millions en trop ! Quand je pense à la comédie que les gens ont fait pour en avoir… Et maintenant, en plus, ça sert à rien !… Trop drôle.
– Drôle et tragique. Tragi-comique, pourrait-on dire. Mais ta remarque est intéressante. Elle montre l’affolement général qui s’est emparé de la planète et qui a conduit tout le monde à produire des masques en urgence sans penser à moyen terme.
Bon, allez, on va enchaîner.
– Attendez, M’dame ! lança Mounir. J’ai une question, s’il vous plait : vous avez pas peur de vous faire virer, si on cafte ce que vous nous avez dit, que le masque c’est pas nécessaire et tout ?…
– Au contraire, je serais contente que vous repreniez et poursuiviez nos échanges. Nous essayons de réfléchir ensemble à partir de faits, d’aller au-delà de la peur et des proclamations de l’opinion. Continuez. Parlez, renforcez votre jugement et votre argumentation au contact des autres.
Je vais vous dire une chose : rien n’est plus important que de savoir changer d’avis, signe que l’on sait entendre des arguments et tirer profit d’une observation. Il n’y a pas de progrès personnel et collectif sans la reconnaissance d’une erreur quand elle est manifeste. Surtout à votre âge : avoir des avis arrêtés à 17 ans, c’est se condamner à la bêtise. Vous devez changer d’avis comme de chemise.
Ce conseil iconoclaste entraîna des regards mi-dubitatifs mi-respectueux, assortis d’un silence. Sentant qu’ils étaient en disponibilité pour écouter encore un peu, l’enseignante poussa le raisonnement :
– le physicien Étienne Klein, qui reprend ce qui a été mis en lumière par deux psychologues américains, dévoile un paradoxe : d’une part l’ignorance donne davantage confiance en soi que la connaissance ; d’autre part il faut être compétent pour se rendre compte de son incompétence. En effet, c’est en travaillant sur un sujet, en s’informant, en adoptant une démarche scientifique, que l’on comprend qu’une question est plus complexe qu’on l’avait imaginée et que l’on perd un peu de son assurance. Assurance qu’on retrouve ensuite, associée à la prudence, à mesure qu’on acquiert de la compétence.
Djebril leva la main et fut autorisé à parler :
– Qui c’est qu’il faut croire, alors ?
– À mon avis, deux critères sont importants : l’expérience – ceux qui ont des années de pratique d’un métier ou d’une discipline – et la prudence, ou la modestie.
– Madame, je connais un proverbe qui va bien, là ! s’exclama Tess, attendant toutefois le feu vert pour le déclamer.
– S’il est adapté, vas-y.
– « Celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne parle pas ».
– Tu te souviens de qui il est ?
– Un Chinois ?
– Oui, Lao-Tseu, un sage de l’Antiquité.
– Oui, mais M’dame, intervint Mounir, si ceux qui savent ne parlent pas, alors y’a que les crétins qui la ramènent et on entend des conneries toute la journée ?
Éclat de rire général.
– J’ai bien peur que sur les réseaux sociaux et à la télé tu aies raison, Mounir. Mais il y a aussi l’école, vos familles, des gens autour de vous, les livres, les journaux, le cinéma… Il y a de nombreux endroits où des personnes compétentes disent des choses justes, de différentes manières. Pensez à l’expérience et à la prudence : alors vous aurez l’intelligence et vous développerez la vôtre.
– Cool, Mdame, je me sens presque intelligent ce matin.
Catherine Bellus n’avait pas l’émotion facile, mais elle fut touchée par ce compliment qui n’en était pas un. Ce matin, elle avait fait un peu plus que son boulot, et c’était bon.