Instruction civique (polar) – Chap. 4,5,6 sur 30

Publié par

Le polar de l’été, du 15 juillet au 22 août, 3 chapitres chaque vendredi et 3 chapitres chaque samedi, 30 chapitres au total.

Il s’agit d’un livre que j’ai publié sous le nom de Pier Bert, d’abord en trois tomes, ensuite en un seul volume, sous le titre Instruction civique en mars 2010. 

2300 exemplaires vendus.

« Un polar exemplaire, passionnant de bout en bout », Le petit futé.

PIER BERT 

Instruction civique 

Au marché de Brive-la-Gaillarde 

Au nom de saint Antoine 

Aux âmes les citoyens 

Polar 

ÉCRITURES 

© Écritures
ISBN n ° 978-2-35918-004-6 

Dépôt légal : mars 2010 

Samedi 16 juillet 2022 : chapitres 4-5-6 sur 30

Première partie
Au marché de Brive-la-Gaillarde 

IV – Réunion à la sous-préfecture

Le mardi 17 février à 17 heures, se retrouvèrent à la sous-préfecture de Brive, ancien hôtel de Cosnac, à l’angle du boulevard Jules Ferry et de l’avenue Thiers : Jacques Poisse, locataire des lieux ; son supérieur, Jean-Martin Villeneuve, préfet de la Corrèze, venu de Tulle ; le directeur de cabinet de celui-ci, jeune énarque chargé de la sécurité, Damien Boitillon ; le procureur de la République Lucien Chaffran ; le juge d’instruction Michel Florent ; le commissaire principal Jean-Jacques Chautard ; et le député-maire de Brive Roland Rigal, qui regretta de ne pas avoir amené son directeur de cabinet quand il vit que le préfet était venu avec le sien. L’élu du peuple se sentit un peu faible face à tous ces représentants de l’État. Ce n’était pas bon. Si l’on voulait se faire entendre, il fallait en imposer. Poisse aurait dû le prévenir. 

Un dispositif exceptionnel de sécurité avait été mis en place autour du bâtiment officiel ; aucune menace ne pesait sur la réunion, mais puisque l’on semblait face à des actes qui dépassaient l’entendement, mieux valait prendre des précautions, pensait le sous-préfet qui avait réquisitionné la moitié des effectifs du commissariat. Deux agents gardaient même les entrées de la salle de réunion, dont on avait tiré les rideaux. La presse ne se moqua pas de ses mesures, mais ne manqua pas de les rapporter, ce qui ne fit qu’ajouter à la fébrilité de la population. 

– Monsieur le Juge d’Instruction, commença le préfet à qui revenait la présidence, voulez-vous nous dire dans quel sens vous avez diligenté vos enquêtes, avant, peut- être, que nous passions la parole à Monsieur le Commissaire Principal ? Je précise tout de suite que le but de cette rencontre n’est pas d’interférer dans le déroulement de la procédure judiciaire, mais de coordonner nos forces et de savoir où nous en sommes. Je ne vous cache pas qu’on s’inquiète en haut lieu… Allez, Monsieur le Juge, à vous. 

– Merci, Monsieur le Préfet. Je dirai que la plus grosse difficulté est de s’adapter en permanence, même si l’on espère qu’aucun nouveau drame ne va s’ajouter à ceux qui sont survenus. Après la saisine par Monsieur le Procureur, j’ai demandé au commissaire Chautard de me seconder avec son équipe. Nous nous sommes répartis les tâches de la manière suivante : il se charge de l’enquête de terrain et moi de l’audition des témoins. Sachant que nous n’avons pour l’instant ni garde-à-vue ni mise en examen. 

Pour l’affaire du marché, un peu plus de quinze jours après les faits, il ressort que M. Jean-Pierre Tébut n’avait pas de problèmes particuliers au niveau privé : marié à une femme également fonctionnaire, père de deux garçons aujourd’hui âgés de 20 et 22 ans, inconnu des services, il menait une existence tranquille. Tout juste nous a-t-on signalé une certaine fascination pour le jeu et une consommation d’alcool régulière. Au niveau professionnel, la situation semble plus contrastée : ces collègues ne voient rien de particulier à signaler, mais on a pu déduire de ce silence de la solidarité, voire de la lâcheté, plutôt que de l’affection ou de l’approbation. Monsieur le Député-Maire pourra peut-être nous en dire un peu plus à ce sujet. 

Le sous-préfet regarda Roland Rigal, qui leva la main paume ouverte pour signifier qu’il ne voulait rien ajouter. Le représentant de l’État savait que l’élu local bouillait intérieurement ; il se sentait offensé, par les meurtres dans sa ville, par l’enquête au sein de sa mairie, par le soupçon quant à la moralité d’un de ses agents. 

– Les commerçants nous en ont appris un peu plus, continua le juge Florent. D’après eux, M. Tébut était… corrompu. 

– Comment est-ce possible ? demanda le préfet. Les demandes de places pour le marché ne passent-elles pas devant une commission de plusieurs membres, qui seule décide de l’attribution ? 

Roland Rigal savait ce qui allait suivre, car il avait interrogé le juge d’instruction trois jours plus tôt, qui n’avait fait que confirmer ce qu’un adjoint lui avait révélé. 

– Précisément, Monsieur le Préfet. Il semble que Jean-Pierre Tébut ait accordé des places à des artisans qui n’avaient pas été acceptés par la commission. 

– C’est possible ? demanda le jeune Boitillon, directeur de cabinet qui voulait exister. Matériellement, les emplacements ne sont-ils pas limités, et délimités ? 

– Ils ne sont pas matérialisés au sol, dit le juge. La halle Brassens permet bien des configurations. On peut caser une camionnette ou un étal de plus sans que cela gêne les autres. 

– Et ses collègues ? demanda le procureur. 

– Nous avons interrogé les deux autres placiers, plus un agent qui supplée à l’occasion. Ils n’ont pas « balancé », mais leur non-réponse à certaines questions vaut affirmation. Ma conviction est qu’ils connaissaient les arrangements de leur collègue avec certains forains. Au moins qu’ils s’en doutaient. Il y a une répartition géographique de la halle. Chacun gère son bout de marché. Et le chef de service, comme l’adjoint concerné, ont été pour le moins négligents. 

– Je ne vous permets pas, Monsieur le Juge ! explosa Roland Rigal. Jean-François Doré est un des élus les plus dévoués et Christian Lormes a plus de vingt ans de maison ! 

C’est le préfet qui apporta la réponse que le juge ne pouvait se permettre : 

– Ça n’empêche rien, Monsieur le Maire, malheureusement. Mais continuons. Pour l’instant, personne n’est accusé. 

Pour détendre l’atmosphère, le sous-préfet ouvrit une bouteille d’eau et en proposa autour de lui. Le juge reprit, pas perturbé par la sortie du maire. Il parlait la tête baissée sur des feuilles au format A4. Il pouvait paraître falot, mais il avançait et disait ce qu’il avait à dire. 

– Pour ses bons et déloyaux services, le placier aurait touché des enveloppes – un commerçant interrogé a avoué lui avoir remis 2 000 euros en espèces –, ainsi que du matériel hi-fi et vidéo. Deux écrans plasma ont été trouvés chez la victime, sans que son épouse puisse produire les factures et les garanties correspondantes. Et chez un de ses fils, nous avons trouvé une caméra et deux appareils photos de valeur, hors de proportion avec les moyens et les besoins du jeune homme. 

– Admettons qu’il y ait une brebis galeuse à la mairie de Brive, coupa le procureur, ça n’explique en rien pourquoi on l’aurait tuée ? 

– En effet, Monsieur le Procureur. Même si, en raison de ces pratiques, des commerçants pouvaient en vouloir à M. Tébut, on imagine mal qu’ils aient pu aller jusqu’à le pendre. Mais, si vous voulez bien, nous pourrions demander à Monsieur le Commissaire de nous dire ce qu’il a pu, lui, découvrir sur ce premier meurtre. 

Les regards se tournèrent vers Jean-Jacques Chautard, qui avait écouté le juge en consultant son petit ordinateur portable, ouvert devant lui. Michel Florent ne lui déplaisait pas. Il était un peu sec, certes, il n’avait qu’une vague idée de la relativité, mais d’une part il faisait son boulot, d’autre part il lui laissait faire le sien. Vu ce qu’étaient les rapports habituels entre police et justice, c’était déjà très bien. 

– Rrrrghhhh ! Rrrrghhhh… 

Ce raclement de gorge, désagréable aux autres participants, aida le commissaire à se concentrer en même temps qu’il l’obligeait à se redresser. Parler lui demandait un effort, surtout quand il s’adressait à plusieurs personnes en même temps. Il regrettait dans ces moments de ne pas avoir approfondi les mathématiques et fait une carrière scientifique. 

– Rrrrghhhh… Voilà… À ce jour, nous n’avons trouvé aucun indice qui ait pu nous mettre sur la voie : mort causée par étranglement lié au nœud coulant de la corde qui se resserre sur la gorge, aucune empreinte sur la corde, aucun moyen de l’identifier (c’est un modèle qui existe depuis trois ans et qui a pu être acheté dans n’importe quel Décathlon ou assimilé), des milliers d’empreintes sur le sol donc rien de possible, personne qui n’ait remarqué une présence particulière ou un comportement suspect avant le crime, personne qui n’ait remarqué d’inquiétude chez M. Tébut. Et, comme l’a rappelé M. le Juge, personne qui aurait pu en vouloir suffisamment au placier pour commettre un tel acte… 

– En somme, nous n’avons pas la moindre piste ? lança le préfet. 

– En effet. Il me semble que l’on peut cependant déduire quelques petites choses de cette absence d’ indices… 

Le commissaire attendit avant de poursuivre, comme s’il hésitait à aller plus loin. 

– Allez-y, Chautard, on vous écoute, l’encouragea le sous-préfet.

– Rrrrghhhh… Simplement que : un, rrrggh…, le crime était préparé avec soin, par quelqu’un qui connaissait les lieux et les habitudes du marché ; deux, qu’il a été commis pour une raison, rrrgghhh…, qui n’a peut-être rien à voir avec les malversations opérées par ce fonctionnaire ; trois, que le meurtrier est quelqu’un qui a une grande maîtrise de lui-même, sans doute très calme, sûrement pas un sanguin ou un colérique. Je dois reconnaître, rrrggghhh…, ajouta le commissaire en consultant sa page informatique, que la première des remarques nous fait pencher pour l’hypothèse d’un commerçant ulcéré par les pratiques de M. Tébut, qu’il en ait été complice ou victime, mais que les deux autres nous entraînent sur une voie différente, que nous ne trouvons pas. C’est là que, peut-être, les deux autres affaires peuvent nous aider, si tant est qu’il y ait un lien entre les trois… 

Le sous-préfet sortit deux minutes pour faire le point avec son secrétaire général. Tout était normal, dans et devant le bâtiment. Seuls quelques journalistes patientaient devant la sortie de la sous-préfecture. 

– Ils ont dû avoir vent de la réunion. Ça doit venir de la mairie. Vous direz aux chauffeurs de faire comme s’ils partaient et d’aller se garer rue de Polverel. On sortira à pied par où vous savez… Vous nous ferez apporter la collation à 18 heures 15 si nous n’avons pas fini à cette heure. 

Pendant cette pause, le maire discuta avec le commissaire, le juge d’instruction avec le procureur, le préfet avec son directeur de cabinet. L’atmosphère se détendait un peu. 

– Pour le meurtre de M. Daniel Porion, reprit le juge à qui l’on avait redonné la parole, nous avons entendu la famille et les collègues de travail. Rien de particulier, si ce n’est quelques bagarres ici ou là, et deux renvois pour manque de respect à ses patrons. Un homme assez nerveux, qui vivait encore chez sa mère à 36 ans, enfin juste à côté, dans une maison coupée en deux, et qui travaillait pour la société Pharmaco en tant que livreur. Il a eu un problème quand il a perdu ses points de permis de conduire. Mais sa boîte ne l’a pas licencié. Il a travaillé en tant que manœuvre au dépôt de Toulouse, le temps de faire un stage et de récupérer ses points. Il ne lui en restait plus que deux au moment de son décès. 

– Donc pas de mobile, là non plus ? s’agaçait le préfet. Et l’arme du crime, on a quelque chose ? 

– Commissaire, si vous voulez bien… 

– Rrrrghhhh… Le soir et le lendemain, du crime, alors que, sur le coup, nous n’avions trouvé personne qui ait perçu le bruit de la détonation, des riverains sont venus nous dire qu’ils avaient entendu ce qui devait être le coup de feu. La plupart habitent rue Proudhon, une perpendiculaire à l’avenue de Bordeaux, qui part en face du Bar du Soleil. Ils n’avaient pas réagi le soir-même, confondant la détonation avec les pétarades dans l’avenue. Ce n’est que lorsqu’ils ont appris les circonstances de l’accident qu’ils ont établi le lien. 

– Et cela a abouti à quelque chose ? 

– À une crotte de chien.

Le préfet fronça les sourcils.
– Plaît-il ? 

– Une empreinte dans une crotte de chien. Que nous avons prélevée et empaquetée. Trouvée sur le site du garage Hyundaï. 

– Il n’était pas fermé ? 

– Le parking d’exposition, d’où est vraisemblablement parti le coup, n’a pas de grille. Il donne sur l’avenue. 

– Et la crotte de chien ? demanda le dircab Damien Boitillon. 

– Près d’une voiture, derrière laquelle l’homme s’était caché pour ajuster son tir. 

– L’empreinte pourrait être celle d’un vendeur. Ou d’un client passé dans la journée ? 

– Nous avons vérifié. Elle ne correspond pas. 

– Cela fait un tir à quelle distance ?
– Vingt-sept mètres. Il a dû attendre l’A3 et ajuster. 

– Pas de douille, de poudre ?
– Non. Mais l’examen de la balle confirme qu’il s’agit d’un fusil de chasse.
– Donc en vente libre ou presque… 

– Et très répandu dans la région. 

Il y eut un silence, accompagné de moues de dépit. Le commissaire n’était pas réjouissant. 

– Et du côté du Bar du Soleil ? Vous avez interrogé le patron ? demanda le sous-préfet Poisse. 

– Un homme correct, j’en réponds, réagit le maire. 

– Longuement, poursuivit le commissaire comme s’il n’avait pas entendu la remarque municipale. Mais cela ne donne aucune piste. Si ce n’est que j’ai maintenant la certitude que c’est le conducteur qui était visé. Pourquoi là ? Pourquoi de cette manière ? Difficile à dire. Mais il ne s’agissait pas de dévier la trajectoire de la voiture. 

Le commissaire s’interrompit, actionna son doigt pour faire défiler sa page informatique. Ce qui avait le don d’exaspérer ses auditeurs. Il reprit :

– Rghh… Ceci étant, même s’il est bon tireur, le meurtrier a eu de la chance de frapper en pleine tête. Vous allez me dire que vu le calibre – du 12, balle Brenneke, pour gros gibier – et la vitesse du véhicule, pas loin de 100 km/h, même si c’est une autre partie du corps qui avait été touchée, les conséquences auraient été les mêmes. 

Nouvelle interruption du commissaire, qui releva les yeux de son écran, sans pour autant les porter sur ses interlocuteurs. « On ne sait jamais où il regarde », pensait le sous-préfet. 

– Rrghh… Enfin, si rien ne permet de relier les deux crimes – nous avons cherché sans succès ce qui pouvait rapprocher les deux victimes –, il nous faut relever là encore le sang-froid du meurtrier. 

– Mais comment a-t-il pu ne pas se faire remarquer ? Là et au marché ? C’est impossible ! fulminait le maire. 

– C’est une preuve supplémentaire de son sang-froid. Il se positionne, il accomplit son crime, dans le deuxième cas il ramasse même la douille, et il repart tranquillement, indifférent au bruit et à la foule. 

Le silence se fit, pesant. Chacun essayait de se mettre dans la peau du tueur. Le procureur revint à lui le premier : 

– Rien d’autre à ajouter là-dessus, Monsieur le Juge ? 

– Non, Monsieur le Procureur.
– Juste une chose, dit le maire : la fréquentation du Bar du Soleil a triplé depuis le meurtre…
– Non ? C’est incroyable ! Cette fascination pour le sensationnel…
– Bon, dit le préfet. Passons à la dernière affaire, si du moins vous avez eu le temps de recueillir quelques éléments. 

Le meurtre de Franck Bélot était le plus récent – il avait eu lieu cinq jours avant la réunion –, mais c’est pourtant sur celui-ci que l’on avait une indication quant à un meurtrier potentiel. 

– Je reviens rapidement sur les causes de la mort, dit le juge qui avait ouvert son troisième dossier : défenestration depuis la tour du château, le point le plus haut, alors que la victime, l’agent immobilier Franck Bélot, faisait visiter le domaine de Coutinard à des Anglais, enfin nous n’en sommes pas sûrs, je vais y revenir. Disons qu’il avait rendez-vous avec un couple d’Anglais, M. et Mme Jackson. Je ne reviens pas sur la découverte du corps, vous êtes au courant, ni sur le parcours de M. Bélot, qui a été longuement rappelé dans la presse. 

– Qui étaient ces Anglais ? Il y a forcément eu des échanges avant ce rendez-vous ? On doit bien avoir une adresse ? 

– Informatique seulement. Mais nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait d’une boîte mail de location. Ce n’est pas une adresse personnelle avec un abonnement. L’Anglais a pris ses précautions, c’est évident. 

– Ce qui montre au moins qu’il y avait préméditation, dit le procureur. 

– Chautard, lança le préfet en s’adressant au commissaire, vous allez me faire parler l’ordinateur de Bélot ! C’est votre truc l’informatique, non ? 

Le commissaire, qui ne s’attendait pas à recevoir si vite la parole, eut quelque peine à se remettre en branle. 

– Rrrrghhh !… Je n’ai pas encore eu le temps de m’y pencher, Monsieur le Préfet. Mais M. le juge est sans doute aussi compétent que moi en la matière.
– En l’occurrence, reprit Michel Florent, c’est le collègue de Limoges qui se charge de la question. Il cherche à savoir s’il est possible de poursuivre ce service de location, éventuellement d’entrer dans ses machines, pour l’obliger à nous aider à remonter la filière jusqu’au locataire de l’adresse mail. Nous avons aussi saisi le téléphone portable de la victime, à la recherche d’éventuelles communications téléphoniques. 

– Bon. Donc là encore, personne n’a rien vu ? 

– Eh bien si. Nous avons un témoignage intéressant. Il émane du curé du village. Il désherbait un parterre de fleurs sur le flanc gauche de l’église. La commune assure l’entretien, mais il a l’habitude, dit-il, de gratter la terre un peu chaque jour après le déjeuner. Ce jeudi vers 13 heures 50, après avoir jardiné, il est passé par le terre-plein devant l’église, qui sert de parking, d’une capacité de dix voitures environ. Le prêtre a remarqué dans l’un des véhicules un homme qui mettait ou ajustait une perruque. « Plutôt blonde, ou châtain clair » a-t-il dit quand on lui a posé la question de la couleur. Il voyait mal à cause de reflets, et l’homme était de dos, en partie caché par l’appuie-tête. Le prêtre ne s’est pas attardé. Il a souri et est entré dans l’église. Il n’a plus pensé à l’homme à la perruque jusqu’à ce qu’il apprenne l’affaire et, le lendemain, appelle la gendarmerie de Meyssac. 

– Est-ce qu’il a vu la plaque de la voiture ? Au moins la marque ? 

– Bizarrement, il a noté la plaque, pas la marque. La voiture, « assez grosse et de couleur sombre » d’après lui, est immatriculée dans l’Oise, 60. C’est à la fois une bonne et une mauvaise indication : car la plupart des voitures appartenant aux organismes de location sont immatriculées dans l’Oise, pour des raisons de coût de carte grise sans doute. 

– On peut déjà contacter les Avis, Hertz, Europcar, etc., pour savoir si une grosse voiture de couleur sombre à été louée en Corrèze le jour ou la veille du crime. Et alerter la préfecture de l’Oise sur le même sujet. C’est notre seule piste, il faut l’exploiter à fond ! lança le préfet remotivé. 

– Rrrrghhhh… Nous avons commencé, dit le commissaire. Il y a eu quatorze grosses voitures louées la veille et le matin du crime auprès des organismes de location de Brive et Tulle. Pour l’instant, les contacts avec les locataires n’ont rien donné. Mais nous poursuivons. 

– Ne négligez rien, renchérit le procureur. Élargissez même aux départements voisins. Et retournez voir le curé ! Qu’il active sa mémoire ! 

– Et qu’il se mette en prière pour nous aider à retrouver le diable… lâcha le maire. 

– Dernière chose, ajouta le juge, le curé est formel : l’homme à la perruque était seul dans la voiture, à la place du conducteur. Et la voiture n’était plus sur le parking quand le prêtre est ressorti de l’église, une heure plus tard, après avoir entendu deux confessions. 

– Si l’homme à la perruque est le meurtrier, osa le jeune Damien Boitillon, cela veut dire qu’il se serait fait passer pour un Anglais, qu’il aurait loué une voiture et qu’il se serait déguisé pour ne pas se faire repérer ? 

Les regards se tournèrent vers le juge Florent : 

– C’est la seule hypothèse que nous ayons pour l’ instant. 

– Nous sommes bien avancés… 

– On peut dans ce cas … rrrghh… au moins déduire une chose : la victime ne connaissait pas le meurtrier. Sinon ce dernier n’aurait pas eu recours au déguisement, il ne se serait pas approché si près et si longtemps, car il risquait d’être reconnu. 

– Ça rend plus difficile encore à comprendre le mobile, ponctua le sous-préfet qui voulait faire servir ses rafraîchissements. Pourquoi, mais pourquoi tuer ces types, et dans des conditions si invraisemblables ? 

V – Le bourdon 

Ça bourdonnait. La chaufferie, les ordinateurs, les néons. Et les hommes bien sûr, leurs voix et leurs humeurs. Blues, beuglantes et borborygmes. Il faut dire que plusieurs services cohabitaient au sein du même commissariat, boulevard du Salan : les équipes de police secours entre deux sorties ou patrouilles, les fonctionnaires de la police administrative, qui recevaient les dépôts de plainte et les demandes du public, la section de recherche chargée des investigations, venue de Limoges depuis l’ouverture de l’instruction, les brigades, de jour et de nuit, ainsi que la cellule de la Sécurité Intérieure, au deuxième étage à l’arrière du bâtiment. Chacun avec des missions, des horaires et des rythmes différents. 

Pourtant, il y avait toujours du monde dans « la salle », vaste espace fait de tables en carré, de comptoirs, de postes de travail et de coin café, dans lequel on se rencontrait et on parlait. C’était un truc de Chautard, ça, faire tomber les cloisons. Fini les planques entre quatre murs, les ruminations, les non-dits, les rétentions d’informations pour garder une longueur d’avance sur les collègues. Il restait des bureaux avec fermeture bien sûr, pour l’audition des témoins et la rédaction d’un rapport. Et pour le commissaire et les inspecteurs principaux. Mais d’une manière générale, tout était fait pour la concertation, la stimulation, l’émulation, dans la salle autant qu’à l’extérieur. Car l’autre avantage de l’espace commun était qu’il incitait les agents à retourner souvent sur le terrain. Du moins ceux qui avaient vocation à y être. Non seulement parce qu’ils ne voulaient pas se montrer à leurs collègues avachis sur une chaise, mais aussi parce qu’ils avaient du mal à supporter le bourdon plus d’un certain temps. 

C’est l’expérience qui avait conduit le commissaire principal Chautard à cette organisation des lieux, car sa nature ne le poussait guère à la communication. Il s’était aperçu que bien des enquêtes auraient pu être évitées, et bien des problèmes résolus, si les fonctionnaires avaient simplement échangé les informations qu’ils possédaient. Il fallait les faire circuler, et pour cela rien de mieux que les rencontres informelles au quotidien. C’était beaucoup mieux que les réunions, en lesquelles chacun calculait, trichait et s’ennuyait. Pourtant, personnellement, Chautard préférait les tête-à-tête aux conversations de groupe et il aurait été malheureux s’il avait dû rester en permanence au milieu de la ruche sans pouvoir s’abriter dans une alvéole. Après tout, il était commissaire principal. Il pouvait bien s’isoler un peu au milieu du tumulte. 

Quand on regardait la ruche en détails, on distinguait mille mouvements et activités. Il y avait ceux qui recevaient un « doryphore », autrement dit un non-flic, qu’il soit prévenu, témoin ou plaignant. Il y avait ceux qui discutaient entre eux, de leur nuit, de leur coup, de leur femme. Il y avait ceux qui n’arrivaient pas à se débarrasser d’une image, ceux qui s’énervaient parce qu’ils ne trouvaient pas, ceux qui buvaient un café, ceux qui tapaient sur un clavier, ceux qui téléphonaient. Ceux qui criaient et ceux qui écoutaient. Les comiques et les renfrognés. Ceux qui partaient et ceux qui revenaient. Mimi, Dodo, Simon, Gérard, Annie, Catherine, Franck, Mathieu, « Le Rouque », « La Teigne » et « Gibraltar ». Et d’autres. Et puis la photo du Président de la République, la charte de la Police nationale, les placards, les dossiers, le bazar, les armes, les clés, les appareils, les tenues, la paperasse, les murs pas si sales, le mobilier plutôt neuf, les photos personnelles, les tasses, les cachous et les pschitt contre le mal de gorge. 

Le jour, il y avait les souvenirs de la nuit : problèmes de voisinage, violences conjugales, ivresses, drogues et tapages. Parfois les courses poursuites et les interventions musclées. Les insultes auxquelles il fallait faire face, de la part des jeunes qui savaient qu’ils ne risquaient rien et des voyous qui jouaient aux durs. La nuit, il n’y avait plus traces du jour : vols, plaintes sans gravité, procédures, auditions. La nuit, il y avait les lampes de poche et les talkies-walkies, le guidage radio, la musique, dans la voiture et dans la salle, les montées d’adrénaline au moment des contacts et des interpellations, les cigarettes, à fumer dehors maintenant, le casse-croûte d’une heure du mat, respiration indispensable entre vingt et une heures et cinq heures. Il y avait aussi les verrous, celui de la cellule pour le forcené, celui du commissariat contre les bandes et les désaxés. 

Et puis toujours les papiers, qu’il fallait faire signer, ce qui n’était pas toujours facile. Rédiger était plus dur encore, du moins pour certains. 

– C’est des écrivains qu’on devrait embaucher dans la police ! se plaignait La Teigne en peinant devant son écran. 

La mort, là-dedans ? C’était cinq pour cent de l’activité totale. Et le crime ne représentait que cinq pour cent des morts, qui étaient dans leur grande majorité des accidents ou des décès subits. Alors, quand il arrivait en masse dans le ressort d’un commissariat plutôt calme, le crime déstabilisait les troupes, qui ne l’avaient jamais vu de si près. En ce mois de février 2009, la plupart des agents de police de Brive n’étaient pas mécontents de se retrouver au cœur de l’événement, bien qu’ils aient du mal à trouver la bonne mesure avec lui. Le commissaire assurait le coaching, les gars du S.R.P.J. encadraient, mais les flics brivistes ne sortaient plus sans fermer leur visage et sans rouler des mécaniques. Pour de simples contrôles de rue ou de voisinage, les agents montraient une froideur et une brusquerie qui n’avaient pas lieu d’être. Les femmes étaient plus modestes. Elles vivaient davantage ce moment comme une expérience que comme une mise en avant. 

La surnommée Dodo, qui bossait son concours de lieutenant avec pour objectif de travailler un jour aux stups ou dans une brigade des mineurs, prenait des notes et s’efforçait de théoriser ce qu’elle vivait. L’agent Mathieu refusait de parler de quoi que ce soit à son entourage. Le Rouque avait épinglé au mur, chez lui, tous les articles avec photos sur les meurtres. L’inspecteur Plante ne quittait plus le commissariat. Conscient de l’impact psychologique des trois crimes consécutifs, le commissaire Chautard recevait dans son bureau tous les agents qui le voulaient, autant de fois qu’apparaissait le besoin. Pour affronter les émotions, il fallait libérer la parole. Le commissaire avait même organisé dans la grande salle, contre ses principes, une inhabituelle réunion pour responsabiliser chacun. 

– Rrrrghh… Même si ce n’est pas son objectif premier, le criminel teste vos capacités. Il vous provoque et veut voir comment vous allez réagir… Pourtant, ce n’est pas à lui qu’il vous faut penser. Votre travail est de protéger la population. D’éviter qu’il y ait de nouvelles victimes… Ce n’est pas pour le tueur que vous devez être irréprochables, mais pour les habitants de Brive… Irréprochables, ça veut dire calmes, à l’écoute, efficaces. Pour ne pas perdre ces qualités qui sont les vôtres, vous devez relativiser. Il se passe quelque chose d’exceptionnel, mais la terre ne s’arrête pas de tourner… Vous avez un rôle à jouer, ne l’oubliez pas. 

Il savait ce qu’était un homme. Et ce qu’était un flic. Il savait que les policiers étaient presque tous des types avec du cœur, un cœur abîmé souvent, qui voulaient montrer le bon côté de leur personne. Ils étaient souvent maladroits, ils manquaient de psychologie, mais ils compensaient avec de la conscience et de la gentillesse. 

Quant à lui, Chautard, il devait s’avouer qu’il se sentait mieux depuis les crimes, qui lui redonnaient une raison d’être. La mort redonnait un sens à la vie. À la sienne, d’abord : que serait un commissaire sans criminel ? À celle de tout un chacun ensuite : quand un événement rappelait la fragilité de l’existence, on veillait davantage à en profiter. 

De plus, comme souvent, le commissaire Chautard éprouvait une sorte de sympathie pour le tueur. Cette intelligence, ce courage, cette force, c’était des qualités, tout de même. Il ne pouvait le dire et il devait lutter contre ce sentiment, mais il pensait que les criminels, en mettant le doigt sur les failles d’une société, obligeaient les hommes et les femmes qui la composaient à améliorer son fonctionnement (il excluait de ce raisonnement les meurtres de masse et le terrorisme). Il envisageait d’écrire un jour un livre en montrant, à l’aide de dix affaires marquantes, comment ces crimes avaient entraîné un changement des mentalités. Il irait même plus loin en démontrant que ces crimes avaient évité des malheurs plus importants. Il avait déjà des idées de titre : « Le mort contre la mort », « Le crime faute de mieux », « Tuer, c’est prévenir ». 

Sa femme Sylviane, seule personne qui connût les profondeurs de l’âme du bonhomme, l’avait aidé à cerner la problématique : 

– Est-ce que ta croyance en la force de l’exemple n’est pas contradictoire avec ton scepticisme sur la nature humaine ? 

– Tu crois ? Peut-être est-ce lié justement : quand exceptionnellement les mentalités évoluent, après un crime en l’occurrence, je trouve qu’il est utile de le faire remarquer. 

– Tu crois encore en la perfection de l’homme, commissaire ? 

– Bien sûr que j’y crois. Tu as remarqué, je l’espère, que si je suis sceptique, je ne suis pas désabusé. 

– C’est vrai. Heureusement. Je ne pourrais pas vivre avec un homme désabusé. 

– C’est bien pour ça que je ne le suis pas. 

Sa chère femme… Ils étaient mariés depuis 25 ans et il n’en finissait pas de l’aimer. Elle et leurs trois filles étaient le miracle de sa vie. Sûr qu’avec elles il n’était pas désabusé. Si elles n’avaient pas été là, en revanche… 

Au contraire du commissaire, le député-maire de Brive-la-Gaillarde, Roland Rigal, ne vivait pas bien l’irruption du mal dans sa ville. Il ne pouvait se départir d’un sentiment de culpabilité. Son entourage, percevant sa tension, s’efforçait de le raisonner. Mais on sentait bien que les crimes avaient éveillé en lui une force, ou une faiblesse, qu’il ne pouvait dominer. Il s’en voulait. Le responsable qu’il était culpabilisait. Sensation d’autant plus désagréable qu’il se croyait à l’abri des remords. Deux décennies de batailles politiques l’avaient blindé. Du moins le croyait-il, jusqu’à ce que les assassinés de Brive viennent remettre en cause son équilibre. Il faut dire qu’il n’avait jamais été confronté à la mort violente. Là, les trois crimes avaient été commis dans sa ville, ou contre des habitants de sa ville. Pire encore, une des victimes était un de ses employés, et il avait été tué dans un équipement municipal. Le maire voyait cela comme une provocation. 

Sa culpabilité avait deux origines bien précises. La première venait du fait qu’il savait que le Tébut – pendu à une poutre de la halle Georges Brassens, merde alors ! – n’était pas clair dans son travail. Son conseiller et ami Jacky Filinger lui avait fait part de témoignages troublants. Non pas troublants, se dit Roland Rigal en y repensant, explicites. Jean-François Doré, l’adjoint à l’artisanat et aux marchés, avait lui aussi mentionné le manque de rigueur du placier. Le maire se souvenait également d’une algarade avec un forain survolté, qui l’avait pris à partie en public sur les « magouilles du marché de Brive » et qui avait dénoncé le comportement des placiers : « Ils se font graisser, vos gars, pire que des oies ! ». 

Chaque fois, il avait éludé. Il n’avait pas voulu voir, pas voulu creuser. Qu’est-ce que c’était qu’une brebis galeuse dans un troupeau de mille bêtes ? Et puis ne fallait-il pas un peu d’huile, de graisse justement, pour faire tourner les rouages ? Le marché était une grosse machine, plusieurs fois centenaire, qu’on devait allumer trois fois par semaine toute l’année, et chacun s’accordait à dire que c’était un des points forts de la ville. Alors ! C’est le résultat qui comptait. Pour ajouter à son malheur, le maire connaissait la famille du Tébut : il avait joué au rugby avec son cousin, et son père avait eu sa carte au mouvement pendant quelques années. 

La deuxième source de culpabilité provenait des demandes de chicanes et de limitations de vitesse plus efficaces sur l’avenue de Bordeaux. Des riverains avaient écrit plusieurs fois à ce sujet ; André Prot, adjoint chargé des transports et de la circulation, avait fait part au maire des recommandations du commissaire à ce sujet. Roland Rigal avait refusé de rendre plus contraignante la conduite sur cet axe qui ouvrait la ville vers l’Ouest et permettait aux habitants des communes limitrophes d’accéder aux commerces et aux services de Brive. « Déjà que les commerçants du centre râlent à cause des zones commerciales en périphérie, on va pas décourager les clients qui sont encore prêts à venir chez nous ! », avait tempêté le maire. 

Depuis les crimes, ces problèmes laissés sans réponses remontaient à la surface. Ses « faiblesses » (il ne trouvait pas le mot adapté quand sa conscience l’obligeait à examiner les faits) n’avaient rien à voir avec les meurtres, mais il ne pouvait s’empêcher d’y penser. Il avait le bourdon. 

VI – La lutte finale 

Il était 19 heures ce mercredi 25 février. L’après-midi avait été plutôt calme à la Maison des Syndicats. Jo Chavignat, secrétaire de l’union locale C.G.T., conducteur de trains de métier, avait tenu sa permanence hebdomadaire. Il avait reçu trois ouvriers d’une entreprise de mécanique venus lui demander conseil avant de saisir les prud’hommes, une secrétaire qui se plaignait de harcèlement, un fonctionnaire de la Poste qui se sentait victime de discrimination, un instituteur blâmé par sa hiérarchie pour absentéisme, deux camarades du Lot qui souhaitaient une action commune contre le prix du péage entre Brive et Cahors, et le directeur administratif de la Caisse d’Épargne du Limousin, qui venait discuter avec lui de la représentation syndicale au sein des établissements corréziens de la banque. 

Tout au long de l’après-midi, avaient également défilé des camarades, de la confédération, de Force Ouvrière, de Sud-Rail, qui venaient le saluer par amitié ou pour entretenir la relation. À 19 heures, il ne restait plus que Colette, la permanente qui assurait le secrétariat de l’union locale, ainsi que Michel et Dédé, un cheminot et un électricien, qui s’attardaient pour que Jo leur offre le pastis. Ce qui fut fait. 

– Jo, si tu permets, je m’en vais, dit Colette qui souhaitait rentrer chez elle. 

– Va, ma Co, je fermerai. Dis bonjour à Maurice de ma part. 

– J’y manquerai pas. N’oublie pas la lampe du couloir. 

– Sans faute.
– Bonsoir camarades.
– Salut Colette. 

Le pastis fut partagé entre hommes, au premier étage de la Maison des Syndicats, rue Jean Fieyre, dans ce qui avait été la fabrique des accordéons Dedenis. C’était un quartier résidentiel, comme tout l’espace situé entre les deux ceintures de Brive, parsemé de quelques institutions publiques : ici le gymnase Lachaud, autrement dit la salle de boxe, à l’entrée de la rue, la Chambre de Commerce et d’Industrie, cube blanc au milieu des pierres blondes, avenue du Général Leclerc, et, vingt mètres plus haut, l’ex-collège Saint-Joseph, en passe d’être transformé en appartements de standing. Dans ce coin austère, sans commerce malgré la Chambre, mal éclairé le soir, la Maison des Syndicats, le gymnase et la C.C.I., ainsi que le Secours Catholique et le centre de contrôle technique dans la rue en dessous, apportaient un peu de mouvement et d’animation. 

Les trois hommes sirotèrent l’anisette en évoquant l’actualité politique : l’Amérique, parce qu’il faut un coupable, le gouvernement, parce qu’il faut un bouc-émissaire, le président, parce qu’il faut une obsession… 

– Ras-le-bol de ce mec et de son fric ! 

– Je comprends pas pourquoi les journaux le mettent tout le temps en couverture ! Il les tient pas tous, quand même ?… 

– Oh…

– En attendant, il se sucre à mort ! 

– C’est bon pour nous, remarque. La colère gronde. On peut mobiliser… 

– Il a donné le bâton pour se faire battre. 

– Bon, allez, en attendant, on y va, dit Jo en empoignant la bouteille pour la remettre dans le placard. 

Michel prit les verres et alla les rincer dans l’évier du coin cuisine. Dédé rangea les gâteaux secs. 

– Laissez, je finirai, dit Jo. Faut que j’envoie encore un mail avant de partir. 

– On peut t’aider à quelque chose ? 

– Non, merci les gars. C’est sympa d’être passé. Tenez-moi au courant pour Mecacor et dites aux copains de se tenir prêts. Faut pas lâchez le truc. 

– T’inquiète, on veille aux braises. Allez salut, Jo. Porte-toi bien. 

– Salut les gars. 

Michel et Dédé se couvrirent, descendirent l’escalier et quittèrent le vieux bâtiment. Jo se retrouva seul. Du moins le croyait-il. 

Il retourna dans la pièce qui lui servait de bureau quand il venait à Brive. Il s’assit devant son ordinateur portable, appuya sur une touche pour le réveiller et attrapa un document de quatre pages qu’il parcourut en vitesse. Puis il entra dans la messagerie et rédigea son mail. Il l’achevait quand l’Internationale retentit. En d’autres circonstances, la chanson ne l’aurait pas étonné. Mais à cette heure, alors qu’il était seul dans le bâtiment ? Il pensa à une blague. 

– Eh ! lança-t-il. C’est vous, les gars ? 

Pas de réponse, mais toujours « la lutte finale », en musique. Il hésitait. Se lever ? Il n’était pas rassuré. 

– Eh ? Qui est-ce qui essaye la sono ? C’est bon, ça marche ! 

« Mais si les corbeaux, les vautours, un de ces matins disparaissent, le soleil brillera toujours »… La chanson va se terminer, pensa-t-il. Il décida d’attendre et de ne pas se formaliser. Pour déjouer sa peur, il s’efforça de terminer son mail. Il le relut et il l’envoya. Au moins, son travail était accompli. « … sera le genre humain ». Une partie instrumentale encore, et la chanson s’arrêta. 

– Bravo ! C’est beau ! Bon, à qui je dois d’avoir pu écouter notre hymne ? 

Silence. Jo Chavignat n’entendait qu’un filet d’eau dans un radiateur. La peur ne diminua pas, au contraire. Il se sentit cloué à son siège, coincé dans ce bureau de fond d’étage. Un voleur ? Qui viendrait cambrioler la Maison des Syndicats ? Son machisme reprit le dessus. Il se leva d’un bond, se cogna la cuisse à l’angle de la table et traversa la pièce qui précédait son bureau en criant : 

– Bon, c’est plus drôle, là ! Qui c’est, le musicien ? 

Ce furent ses derniers mots. Alors qu’il s’engageait dans le couloir autour duquel s’articulaient les salles et les bureaux, il reçut sur la tête un coup qui lui fendit le crâne. Pendant une seconde, il crut que sa tête allait exploser, que le cerveau allait arracher ses tempes qui lui firent un mal atroce. Il dit « ouf » en s’affaissant, comme un sac de sable. Il perdit connaissance. Il n’entendit pas la voix qui, dans le couloir de la Maison des Syndicats, murmura : « C’est la lutte finale ». Le sang coulait : le crâne était plus que fendu et la partie supérieure du cerveau avait éclaté. Jo Chavignat était mort. 

– Roland ?
– Hum…
– C’est Jacques. C’est la Poisse.
Le maire tenta de remettre son esprit en marche et se redressa sur un coude.
– Jacques ?… Tu vas pas me dire…
– Si. Un quatrième.
– Nom de D…
Il était 1 heure 30. Le sous-préfet expliqua au maire mal réveillé qui était la victime et où elle avait été trouvée. 

– C’est sa femme qui, ne le voyant pas revenir, a donné l’alerte. 

– C’est pas possible ! C’est un cauchemar, je dors. C’est bien ça, Jacques, je dors ? 

Roland Rigal sentit une main sur son épaule. Il s’agissait de celle de Sophie, son épouse depuis trente ans. 

– Si tu le souhaites, conclut le sous-préfet après avoir transmis les informations en sa possession, on se retrouve au commissariat dans vingt minutes, c’est le lieu où nous serons les plus opérationnels à cette heure. On verra où en est Chautard et on ira sur les lieux si tu veux. 

Le maire resta quelque temps sans rien dire avant de raccrocher, puis se laissa retomber sur le dos. La main de Sophie prit alors la sienne et elle croisa ses doigts. Un signe, un soutien. Mais pas de mot. Pas une question, pas une exclamation. Dans son trouble, le maire remarqua à la fois ce silence et cette présence. Combien de femmes étaient capables de se taire en de telles circonstances ? pensa-t-il. Il avait beaucoup de chance. Il serra fort la main, puis se leva pour s’habiller. 

– On a au moins une certitude, maintenant…
– Les crimes sont liés ?
– Trois, on pouvait à la rigueur croire à une coïncidence. Mais quatre…
– Surtout de cette manière. Jamais la même et toujours…
– … étonnante.
– Tu parles… C’est pas possible, ça, pas possible !…
– C’est ça finalement la marque du tueur : l’originalité.
– Ça ne nous donne pas le mobile !
– Il n’y en a peut-être pas.
– Vous pensez à un dingue ?
– Un homme qui expérimenterait des manières de tuer. Qui voudrait se prouver, ou prouver à quelqu’un, que tuer est à la portée de n’importe qui… 

– Ou que n’importe qui peut se faire tuer. 

– C’est une hypothèse un peu différente. Pas incompatible avec la première. 

– Il faut voir si d’autres crimes ont été commis de ces manières-là au cours des dernières années. 

– Ou d’autres manières originales, sans que le meurtrier ait été arrêté. 

– Mais qu’est-ce qu’il viendrait foutre à Brive, ce malade ? 

– Il est certain que la piste la plus probable est quelqu’un de la région. Car, outre l’originalité, il y a un autre point commun à ces crimes : la proximité. Trois ont été commis à Brive, et un contre un Briviste à même pas 15 km d’ici. 

– Dans ce cas, ça resserre sacrément notre champ d’investigation. 

– Bon Dieu, quatre crimes dans un mouchoir de poche, ça doit bien laisser quelques traces ? 

Ils étaient neuf à participer à ce brain-storming improvisé à 3 heures, ce jeudi 26 février : au maire et au sous-préfet qui s’étaient invités dans les locaux du commissaire, s’étaient joints le juge d’instruction Florent et son collègue de Limoges Sylvain Virte, qui logeait à Brive depuis son affectation à cette enquête, le conseiller municipal Jacky Filinger, l’inspecteur Plante, l’ inspecteur principal Ramond, correspondant du S.R.P.J. de Limoges, lui aussi délocalisé à Brive depuis le meurtre de Franck Bélot, et la substitut du procureur, ce dernier se trouvant à Paris pour un rendez-vous au ministère le lendemain matin. En retrait, se trouvaient cinq hommes du commissariat : le brigadier-chef Leroux, réveillé en urgence pour gérer l’intendance de cette nuit particulière, le planton de service, une patrouille de deux hommes et une femme, exceptionnellement mobilisée et prête à partir en cas de besoin d’enquête ou d’interpellation. L’équipe de nuit, ainsi que deux « Limougeauds », étaient encore à la Maison des Syndicats, chargés de bloquer les accès et de continuer à chercher tout ce qui pouvait constituer des indices. 

Le brigadier Leroux harcelait la machine à café en priant pour qu’elle ne tombe pas en panne. Son avancement était à ce prix. Les huiles étaient positionnées de guingois, mal assises, appuyées contre un mur ou debout. On était loin des réunions policées. Il fallait voir le juge Florent, si maître de lui-même d’habitude, quitter sa chaise, marcher jusqu’au mur et revenir comme s’il avait rebondi et qu’il était à nouveau prêt à parler. Le sous-préfet, dos contre un comptoir,calme mais démuni, semblait presque absent. Plante bouillonnait, assis sur une table, les pieds sur une chaise qu’il faisait grincer sans cesse, l’arme bien en vue sur la chemise, prêt à tirer dès qu’on lui en donnerait l’ordre. Quant au maire, il tournait en tout sens, il allait vers les vitres, posait les mains dessus, et on voyait ses doigts se crisper, comme s’il voulait griffer, ou peut-être se faire mal pour expier une faute qu’il se reprochait. Le juge et le flic de Limoges s’étaient rapprochés l’un de l’autre, pour se sentir moins seuls et prendre moins de place en cette nuit briviste ; ils se sentaient à cette heure comme des voyeurs du malheur des autres. Seuls Chautard et la femme substitut étaient assis pieds à terre, face-à-face, le premier semblant évaluer la seconde, elle-même un peu intimidée, en raison de sa jeunesse sans doute et des hommes autour d’elle, réconfortée seulement par la présence de la fliquette pas très loin. 

Roland Rigal appela l’hôpital pour savoir comment se portait la femme de Chavignat, qui avait été emmenée en état de choc. Le sous-préfet fut appelé par le préfet, lui-même ayant été réveillé par son directeur de cabinet, qu’avait joint Jacques Poisse. Chacun trompait la nuit comme il le pouvait, sans savoir s’il valait mieux être là ou retourner se coucher. 

On en avait déjà beaucoup parlé, sur place et en arrivant au commissariat, mais la substitut du procureur, qui voulait jouer son rôle, revint sur le nouveau crime : 

– Pour cette nouvelle affaire, Monsieur le Juge, comment pensez-vous démarrer l’enquête ? 

D’autres que Chautard auraient pu se formaliser qu’elle s’adressât au juge plutôt qu’au commissaire, mais celui-ci était loin de tout cela. Il avait une qualité très rare : il n’était pas susceptible. Il trouva même normal en l’occurrence que la représentante du parquet, le ministère public, considère le magistrat instructeur comme son interlocuteur direct. Ce n’est que sur commission rogatoire que la police agissait, et celle-ci émanait du juge. 

– Je ne sais pas encore, Madame, répondit Michel Florent. Il n’y a pas eu d’effraction, il n’y a pas de témoins, et l’arme du crime est un pavé qui a été pris sur un tas dans la cour du service des Bâtiments Communaux, qui jouxte la Maison des Syndicats. Cela ne nous donne pas beaucoup de points de départ. Nous allons nous attacher à la victime, remonter son emploi du temps pour nous approcher le plus près possible de l’heure du crime. Je vous propose, Monsieur le Commissaire, et à vous mon cher collègue, de nous retrouver à neuf heures dans mon bureau afin de déterminer les premières actions à entreprendre, et la répartition des forces en présence pour assumer cette quatrième instruction. 

– Quatre enquêtes criminelles… On croit rêver… lâcha le sous-préfet. Roland, Tu le connaissais bien, Chavignat ?

Le maire quitta sa vitre et se retourna, les yeux injectés de sang. 

– Tu parles ! Secrétaire de l’union locale C.G.T., membre de la Fédération des Cheminots, il passait pas inaperçu ! Il était de Tulle, mais il tenait une permanence à Brive tous les mercredis. Il m’a dit un jour qu’il était encarté depuis l’âge de 17 ans ! 

– Quel âge il avait ? 

– 44 ans, répondit Chautard qui avait déjà recueilli quelques informations. 

– C’était le leader du syndicat en Corrèze, reprit le maire. C’est lui qui savait si bien nous emmerder avec ses grèves, aussi bien pour les grandes causes nationales que pour les luttes liées à l’emploi dans telle ou telle boîte. Et quand il organisait des manif, il bouchait pendant des heures tout le boulevard, de la Poste à La Guierle ! 

– Et il s’arrêtait pour brailler des horreurs sous mes fenêtres à la sous-préfecture, compléta Poisse. 

– Il avait de la voix, le gars ! ajouta Filinger. 

– Bon Dieu, un syndicaliste ! grogna le maire en retenant son poing contre une vitre. En France, un syndicaliste c’est intouchable ! On va se faire assassiner… 

– Ce n’est pas toi qui l’as tué, Roland ! lança le sous- préfet. 

– Ce n’est pas moi qui commande les impressions de l’opinion ! Je me fais déjà insulter dans la rue ! Qu’est-ce que ça va être demain… 

– Monsieur le Maire, si ça peut vous réconforter, pensez à ce que l’on va dire de moi, lâcha Chautard… Quatre crimes sont commis dans la même ville en moins d’un mois et la police n’a pas l’ombre d’une piste… Je pourrais bien être la prochaine victime. C’est peut-être bien ce que décidera le Ministre tout à l’heure devant Monsieur le Procureur… 

– Vous savez que nous ne sommes pas toujours d’accord sur la sécurité à Brive, reprit le maire. Mais sur ces coups-là, je n’ai rien à vous reprocher, Commissaire. Je vois bien que vous faites un gros boulot et que vous ne vous laissez pas influencer par la pression médiatique. Si jamais vous avez des soucis avec votre hiérarchie, j’interviendrai. Je suis parlementaire, ça compte. 

Chautard plissa les joues et acquiesça en levant les yeux sur le député-maire, ce qui, dans son langage, voulait dire merci. 

– Et pour le reste ? Qu’est-ce qu’on a comme piste ? reprit le sous-préfet. Puisqu’on est là… 

– Rrrrghhh… Pas grand-chose… Pour le placier, on a cru un moment qu’un boucher de Terrasson… un sanguin qui se réjouit de ce qui est arrivé à « ce propre à rien », selon ses termes… 

– C’est un malade ! coupa le maire. 

– Nerveux, en effet. C’est pour ça qu’il n’est pas un suspect crédible : il est incapable de monter un coup pareil. 

– Et il a un alibi, ajouta le juge Florent. 

– Qu’est-ce que vous faites, alors ? demanda le sous-préfet. 

– Nous interrogeons les commerçants du marché, ainsi que tous ceux qui ont été refusés par la commission au cours des derniers mois. Ce qui nous fait un listing de 363 noms… 

– Vous en êtes où ? 

– À la moitié à peu près. Nous mandatons les gendarmeries pour ceux qui habitent la campagne. 

– Le plus long est la centralisation, osa le juge Virte, qui sentait que son collègue avait besoin d’aide. Nous avons heureusement un logiciel qui permet de paramétrer un certain nombre de critères, de faire apparaître les corrélations et de dégager des profils susceptibles de nous intéresser. Nous cherchons à la fois des informations sur la victime et sur le jour du meurtre. 

– Et pour l’avenue de Bordeaux ? Daniel Porion ? 

– Rrgh… Une seule chose : une femme a vu de sa fenêtre un homme avec un étui à guitare, « juste après le début des informations » a-t-elle dit. Elle n’a pas pu le décrire parce qu’elle ne voit pas bien. Elle pense qu’il avait un manteau et un bonnet. 

– Ça peut être bon, ça ? Faut creuser ! 

– Rrgh… oui, sauf que… C’est la veille du crime qu’elle a vu ce type. 

– Merde…
– Il pourrait avoir fait une première tentative… 

C’est la jeune substitut qui avait prononcé cette dernière phrase, et comme sa voix avait été rare, elle marqua. 

– En effet, reprit Chautard. 

– Mais s’il avait manqué son coup, on aurait quand même entendu le coup de feu ? 

– Peut-être que la cible n’est pas venue et qu’il n’a pas tiré ? 

– Daniel Porion ne serait pas passé avec sa voiture ? 

– Peut-être.
– Ça veut dire que, dans ce cas, les victimes ne sont pas choisies au hasard !
– Dans ce cas.
Ils piétinaient. Ils le savaient, mais il fallait quand même réfléchir. Et respecter la méthode. Ne rien laisser au hasard. Interroger les entourages, fouiller les vies des morts, chercher des traces. C’est parfois quand on s’y attendait le moins que surgissait la lumière. 

– Pour Franck Bélot, l’agent immobilier défenestré, reprit le juge Florent, où là aussi tout laisse penser qu’il y a eu préméditation, nous avons concentré nos recherches dans deux directions : les voitures de location et les mails avec les Anglais visiteurs de la propriété de Turenne. Pour les loueurs de voitures, comme ça n’avait rien donné en Corrèze, nous avons élargi à la Dordogne, au Lot, à Limoges, à Toulouse et à Bordeaux. Nous avons sept Anglais ou couples d’Anglais ayant loué une voiture immatriculée dans l’Oise. À part un que nous n’avons pas encore pu joindre, nous avons les preuves qu’ils n’étaient pas en Corrèze en début d’après-midi. 

– Oui, mais si le meurtrier avait une perruque, il est sûrement pas plus Anglais que nous, lâcha le conseiller municipal Jacky Filinger. 

– En effet, même si nous devons malgré tout vérifier les Anglais. Nous avons demandé si des visages pouvant laisser supposer le port d’une perruque avaient été remarqués. On ne nous a rien signalé en ce sens. 

Le juge regarda son confrère de Limoges, qui comprit qu’il devait prendre le relais : 

– L’adresse informatique utilisée par le faux anglais dans sa correspondance avec l’agent immobilier, jackson.serve@rent.com, est attribuée à une agence de location, à laquelle on se connecte via des bornes wi-fi ou des cybercafés. Cela permet à des gens qui n’ont pas de portable, ou qui justement ne veulent pas utiliser leur adresse personnelle, de communiquer quand même. On paye au quart d’heure, depuis un des 440 terminaux du réseau. Et il est impossible de savoir à quel terminal la location a été effectuée. 

– C’est incroyable ! C’est possible, ça ? On a bien un numéro de carte bleue ? s’indignait Filinger. 

– L’organisme de location en a 5000 par jour en moyenne… Et dans les cybercafés, on peut payer en espèces. 

– Put… !
– Et le téléphone de Bélot ? 

– Pas de téléphone à ces Anglais, et rien dans les numéros appelés ou appelants qui ne nous mène à quelque chose. Si ce n’est que ce Bélot ne semblait pas d’une grande droiture… Mais enfin. 

La rage, l’impuissance et la fatigue se mêlaient pour charger l’atmosphère. Les regards étaient brillants mais vides, les paupières ouvertes mais tombantes, les muscles contractés, les peaux plissées. L’inspecteur Plante et le brigadier Leroux maintenaient un contact radio avec l’équipe restée rue Jean Fieyre devant la Maison des syndicats. Il y avait des bips et des grésillements. Un haussement de sourcils de Chautard les fit s’éloigner. Deux gars de la police scientifique de Limoges venaient d’arriver à la Maison des syndicats pour prendre toutes les mesures avant l’évacuation du corps. Chautard et l’inspecteur Ramond avaient établi les premiers constats, mais ce n’était pas suffisant. Ils avaient besoin des spécialistes. Ce n’est qu’après que la victime et la scène de crime auraient été passées au peigne fin que Jo Chavignat serait emmené à la morgue. 

– Excusez-moi, dit l’inspecteur Ramond en se levant. Si vous voulez bien, je retourne sur place faire le point avec mes collègues. 

– Je vous rejoins dans un moment, dit Chautard 

Ceux qui restèrent parlèrent encore des crimes qui se mélangeaient, de la manière dont allait réagir la population, de la vigilance qu’il fallait adopter, des médias à contenir… Puis Jacques Poisse siffla le repos. 

– Messieurs, allons nous coucher. Prenons des forces pour affronter les jours qui viennent. Et serrons-nous les coudes ! Je jouerai mon rôle de représentant de l’État dans cet arrondissement, pour que nous puissions tous travailler en bonne entente et faire cesser ces horreurs. 

Cet échange en pleine nuit du crime avait permis d’évacuer les angoisses les plus fortes. On convint des rendez-vous et on se salua. Plante demanda à Chautard, qui lui-même retournait rue Jean Fieyre, s’il pouvait rester au poste avec Leroux et les patrouilles. 

– À une condition, inspecteur, c’est que vous alliez vous coucher à huit heures, quand votre confrère Ducamp arrivera, ainsi que moi-même. Vous avez besoin de sommeil. 

– Et le tueur aussi, conclut le sous-préfet.
Dehors, il faisait moins cinq. Le ciel était bleu et noir. 

À suivre…

Un commentaire

Laisser un commentaire