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– Au-delà d’un certain âge, c’est foutu pour les femmes, dit-elle.
– Quelle idée ! rétorqua-t-il.
– Ne faites pas l’innocent. Vous savez ce que je veux dire. Ne jouez pas au psychologue positif.
– Loin de moi l’idée de jouer à l’innocent ou au psy. Mais permettez-moi d’être convaincu de deux choses : un il n’est jamais trop tard, deux il n’y a pas d’âge pour l’amour.
– Après 50 ans, une femme n’a plus aucune chance. Osez me dire le contraire !
– J’ose. Sans hésiter. Vous associez, et donc limitez, l’amour à la fertilité. Autrement dit, après la ménopause, point de salut.
– Disons qu’après ce cap fatidique, certaines choses ne sont plus possibles.
– Pas l’amour en tout cas, et pas la sexualité non plus. Nous sommes au XXIe siècle, Nathalie. Ces trois choses qui étaient liées – la reproduction, la sexualité, l’amour – sont dissociables aujourd’hui. Pas obligatoirement dissociées – un jeune couple avec un bébé associe encore les trois – mais indépendantes l’une de l’autre. On peut aimer sans reproduire, on peut – pardon pour l’affreux mot quand il est utilisé comme un verbe – baiser sans reproduire, on peut aimer sans baiser.
– Et baiser sans aimer…
– Oui, et cela est triste.
– Quand on aime, on a envie de manifester son amour, de baiser comme vous dites. Ce doit être terrible de ne plus pouvoir associer les deux.
– Mais on peut très bien ! Il y a mille façons de faire l’amour. D’autant que la médecine, pour les hommes comme pour les femmes, donne aujourd’hui des possibilités renouvelées d’accomplissement de la sexualité.
– Ce n’est pas pareil…
– Comment ça, pas pareil ? Vous oubliez que nos critères, nos besoins, nos exigences, évoluent avec le temps.
– On a les désirs de son corps, c’est ça ? Je ne crois pas. C’est beau à entendre, c’est rassurant de se le dire, mais ce n’est pas exact. La plupart des gens ont des désirs qu’ils n’arrivent pas à assouvir.
– Un point pour vous. Il n’empêche que, pour rester sur notre sujet, quand une personne de 65 ans rencontre une personne de 65 ans, ou de 25, et qu’elles se plaisent, elles trouvent les moyens d’accorder, donc de satisfaire, leurs désirs.
– Vous avez des exemples ?
– Plein. Madeleine Tessi, Grenoble dans les années 80. Militante d’une association humanitaire, 15 ans de solitude après la mort de son mari. À 71 ans, elle sympathise avec un voisin de quartier qui l’invite pour un apéritif, puis pour un dîner, puis pour un week-end. Elle a fini par s’installer chez lui, et croyez-moi, les visages rayonnants de ces deux-là montraient mieux que tous les mots l’harmonie qu’il avaient trouvée.
– Belle exception…
– Janine Frechinos, 59 ans, a quitté le mari avec qui elle s’ennuyait à Lyon pour partir en Provence. Après deux hivers seule à travailler son miel et ses lavandes, elle rencontre, sur le marché de son patelin, un vendeur de fruits et légumes, plus jeune qu’elle de 10 ans. Ils filent le parfait amour. Ils se sont installés ensemble et ont monté une société de production et commercialisation de produits biologiques qui marche du feu de dieu.
– C’est toujours l’homme qui vient au secours de la femme ?
– Oh, que non. C’est de toute façon un secours mutuel. François Loupiot, agriculteur, quitté par sa femme vingt ans plus tôt, se met à prendre des cours de danse à 60 ans après avoir vu un reportage à la télé, dans le but de rencontrer l’âme sœur. Il lui a certes fallu attendre d’être au niveau 3 pour rencontrer Pauline, mais il ne se sont plus lâchés depuis et ils valsent tous les jours l’un avec l’autre.
– Ça ne fait que trois cas…
– … Solange Beaudrier, 83 ans, affublé d’un mari mal assorti. A rencontré lors d’un dîner 25 ans plus tôt l’homme dont elle rêvait. Elle l’a dit à l’homme, l’a dit à son mari, qu’elle n’a pas quitté, car il accepte cette relation extra-conjugale – un week-end par mois avec son amant – qui embellit sa vie, lui donne l’envie de s’engager dans plusieurs associations et relativise les pesanteurs de sa vie de couple.
– Ok, ok…
– Attendez, une dernière, car elle est plus proche de vous. Catherine, 48 ans, mariée, deux enfants, responsable des ventes dans une grande surface de bricolage. Épuisée par son travail, quittée par son mari trois ans plus tôt, lâchée par ses enfants éloignés… Pas jolie, je précise. Lors d’un séminaire d’entreprise où on lui impose un objectif encore plus difficile à atteindre et une encore plus grande rigueur avec ses équipes, elle craque, dit ce qu’elle a sur le cœur, insulte le manager et quitte la réunion. Dans la semaine qui suit, elle est convoquée à l’entretien préalable puis licenciée pour faute lourde. Après quelques jours d’abattement, elle se rend compte qu’elle ne se sent pas si mal. À la demande de Pôle Emploi, elle participe à une réunion de discussion avec d’autres cadres licenciés. Là, elle rencontre Gérard, viré de son entreprise de téléphonie à cause de son âge, 56 ans. Ils parlent, sont dans un tel état de dépit l’un et l’autre qu’ils ne pensent ni à l’amour ni au sexe. Au fil des séances de discussion, ils s’aperçoivent quand même qu’ils ont du plaisir à parler ensemble, et ils se rendent compte qu’ils ont des points de vue convergents sur pas mal de questions. Eh bien aujourd’hui, ils ont repris ensemble une vieille ferme dans la Creuse, qu’ils ont transformée eux-mêmes en gîtes et chambres d’hôtes. Ils sont heureux comme jamais.
– Ça ne va peut-être pas durer…
– Que ça dure ou pas n’a aucune importance, Nathalie La recherche de la durée épuise les gens et les choses. C’est la qualité qui compte. D’ailleurs, Catherine, la dernière dont je vous ai parlé, m’a dit un jour : « Même si on se plante, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée dans ma vie ».
– Vous n’exagérez pas un peu, là ?
– Croix de bois croix de fer… Je n’exagère pas, je sous-estime. On sous-estime les capacités de l’amour et les possibilités du corps, cerveau compris.
– Vous auriez un truc pour m’aider à y croire ?
– Plein. D’abord, pensez à ce que nous venons de dire, aux exemples que je vous ai donnés. Ensuite, allez en chercher d’autres, dans les livres, autour de vous, au hasard d’une balade. Voyez les gens qui ont surmonté des malheurs, échappé à des périls. Non pas pour les imiter, au contraire pour voir que chaque vie est unique, imprévisible, pleine de rebondissements.
– Ma vie est banale à pleurer.
– Parce que vous la jugez sur des critères télévisuels, publicitaires, qui vous font croire que l’existence est une partie de rigolade et qu’on peut vivre dans le luxe et les loisirs. Dès que vous êtes dans la comparaison, Nathalie, dès que vous vous évaluez par rapport à quelqu’un d’autre, vous prenez le risque de la souffrance et de la perte de confiance. La vie n’a aucun sens, la malchance ça existe, la chance aussi. La seule attitude que nous pouvons adopter est de marcher tant que nous pouvons, de chercher le beau et le bon, de lancer des bouteilles dans les directions qui nous intéressent, sans pour autant attendre trop des autres. Il n’y a aucun destin, il n’y a que le hasard. Et ça vaut le coup de le titiller. Personne n’écrit nos vies à l’avance. Personne ne sait où vont se produire les collisions, les rencontres, les catastrophes, les maladies, les opportunités… Mais tout est possible, jusqu’au bout.
Cc P YvesVoilà de quoi revigorer les esseulés et esseulées. Super ta nouvelle.Là je pars pour le Cotentin (ma destination depuis une dizaine d’années) avec fille et petits enfants. Mais je la ferai suivre à pas mal de mes copains (les gars à force de chercher partout finissent par trouver parfois un peu n’importe qui) et surtout copines.Même moi, j en frémissais presque😉Bel été à toi aussi. Pas très beau dans la partie nord…mais au moins pas de canicule.Bises chaleureusesNicole
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Chère Nicole. Je suis heureux que ma nouvelle t’ait plu et je te remercie grandement de la faire connaitre à tes proches. Tu sais toi aussi rebondir, inventer, oser. Je t’embrasse, bel été.
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J’aime cette phrase : « Il n’y a aucun destin, il n’y a que le hasard ».
Bravo Pierre-Yves
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Merci, Joëlle. Oui, le destin est une invention qui nous enferme et nous déresponsabilise. Et qui ne correspond pas à la réalité. 100 % des vies sont imprévisibles.
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Magnifique. C’est de l’espérance. Je pourrai ajouter des exemples…
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Vous avez raison, Jeanne. Il reste toujours des possibles, pour toutes et tous.
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