Du mensonge à la vérité (Le roman Cahuzac,2)

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Librement inspiré de l’affaire Cahuzac et des livres de Jean-Luc Barré (Dissimulations, La véritable affaire Cahuzac, Fayard 2016), Fabrice Arfi (L’affaire Cahuzac en bloc et en détail, Don Quichotte 2013), Charlotte Chaffanjon (Jérôme Cahuzac les yeux dans les yeux, Plon 2013).

Deux jours après l’interview sur RMC-BFM, le dimanche 10 février 2013, le JDD annonçait en Une : « Les Suisses blanchissent Cahuzac ». C’était la synthèse de la réponse à la question posée par le gouvernement français pour savoir si son Ministre délégué au Budget avait détenu un compte à la banque UBS à partir de 2006 (date de départ de la convention d’entraide fiscale liant la France et la Suisse). Le document aurait dû n’être communiqué qu’au Procureur de la République de Paris, dans le cadre de l’enquête préliminaire qu’il avait ouverte après les premières accusations de Médiapart, à la fin de l’année 2012.

Quand il apprit le titre du Journal du Dimanche, à 8 heures, par un texto de la conseillère médias du Ministère, le Ministre appela Stéphane, le manitou hors cabinet à qui il avait confié sa communication de crise, patron de Havas Worldwilde. 

– Ça vient de toi ?

– Je pensais pas que ça sortirait si vite. Je suis passé par L’Obs. Ils ont dû estimer que ça ne pouvait pas attendre jeudi pour l’impression sur papier.

– Mais bordel de merde, c’est pas à eux d’estimer !

– Les médias ont le pouvoir maintenant, ils ne sont plus le 4e, mais le 1er. Tu es bien placé pour le savoir. 

– C’est bon ou pas ?

– C’est un bon point. Il est trop tôt pour dire si cela suffira, mais le mot « blanchissent » va nous aider. 

– Ils me blanchissent sur une seule banque et seulement depuis 2006.

– Le journaliste Arfi et ses collègues de Médiapart ne manqueront pas de le relever. Mais il n’est pas sûr que cela intéresse l’opinion.

– Tu es optimiste. En feuilletonnant, ces fumiers savent faire monter la sauce.

C’est d’abord au sein du gouvernement qu’elle monta, la sauce. Pierre Moscovici,  Ministre de l’Économie, tutelle de Jérôme Cahuzac, Jean-Marc Ayrault, Premier Ministre, François Hollande, Président de la République, pestèrent contre cet étalage dans la presse qui donnait une image détestable d’une république se voulant « exemplaire ». Ils considéraient de plus que cette déduction hâtive du journal était dangereuse et pouvait faire plus de mal que de bien si l’on découvrait que les Suisses ne blanchissaient rien du tout : ce n’est pas parce que Jérôme Cahuzac n’avait pas eu de compte à l’UBS depuis 2006 qu’il n’avait pas de compte en Suisse.

De fait, en 2000, avec l’aide d’un conseiller fiscal spécialiste de l’évasion, Jérôme Cahuzac avait transféré ses avoirs suisses du géant UBS à la petite banque Reyl et Cie. Médiapart le savait. Mais en jouant leur partition habituelle de révélations progressives, Edwy Plenel et ses comparses avaient gardé cette information pour eux. Comme le gouvernement français n’en savait pas plus, il avait limité sa question aux autorités helvétiques à la recherche d’un compte chez UBS.

À moitié rassurés, ne maîtrisant rien de cette histoire, le Président de la République et le Premier Ministre continuèrent à accorder leur confiance à leur Ministre délégué au Budget, d’autant qu’il effectuait un excellent travail et qu’il était apprécié par l’administration des finances. Les chefs de l’exécutif appuyaient leur conscience sur l’enquête préliminaire en cours, qui continuait, on ne savait trop avec quelques moyens, sous la houlette du procureur François Molins, qui lui aussi avait du mal à y voir clair. On pouvait dire cependant que la justice suivait son cours, l’opinion pouvait gober ça. Quant aux oppositions, elles n’étaient guère menaçantes. Divisées, elles trainaient leurs lots de casseroles elles aussi et ne se risquaient pas à attaquer trop fort un homme qui avait encore du pouvoir ; elles attendaient qu’il soit à terre pour lui marcher dessus.

Le blanchi, qui savait qu’il n’était pas blanc, alternait l’euphorie et l’abattement. Par moments, il était convaincu qu’il allait une fois de plus vaincre l’adversité. Il avait toujours su venir à bout des obstacles et continuer sa progression, professionnelle, sociale, politique. Les coups étaient un peu plus rudes parce qu’il jouait maintenant dans la cour des puissants  – le mot « grands » ne paraissait pas adapté –, mais au fond il s’agissait toujours de laisser dire les pisse-froid, d’éviter les dangereux, de se fixer un objectif et de mobiliser les moyens pour l’atteindre. On constatait d’ailleurs que souvent les adversaires se neutralisaient les uns les autres. En agitant le cocotier, on faisait tomber des noix qui en assommaient plus d’un, ce qui éclaircissait le paysage. Tout était intriqué ; chacun, dans la haute, tenait l’autre par la barbichette. Le Président ne pouvait se séparer d’un de ses ministres moins d’un an après son élection, les députés le craignaient parce qu’il en savait beaucoup sur leur compte et qu’il avait les moyens d’investiguer une situation ou un patrimoine si on le chatouillait trop ; le Procureur n’avait pas l’ombre du début d’un indice ; l’administration ne pouvait s’auto-saisir ; il n’avait craqué ni devant les députés en décembre ni à la télé en février ; la presse écrite n’avait pas pu apporter de preuves à ses soupçons. Quant à son ennemi du Lot-et-Garonne qui détenait l’enregistrement de malheur fourni à Mediapart, il était trop aigri pour être crédible. Il fallait donc tenir et tout rentrerait dans l’ordre.

À d’autres moments, il se trouvait dans un état d’esprit opposé. Les forces assassines lui paraissaient trop nombreuses pour qu’il pût y résister plus longtemps. C’est parce qu’il était arrivé tout en haut, et qu’on redoutait qu’il grimpe plus haut encore, que l’on voulait sa perte. Il faisait peur à trop de gens. Il n’était pas assez contrôlable. Son passé, c’est-à-dire le passage en cabinet ministériel, les conseils aux labos du Big Pharma, l’argent de sa clinique d’implants capillaires, sa percée politique dans le Sud-Ouest puis à Paris, c’était inquiétant pour des gens formatés dans les bonnes écoles et les grands corps de l’État. Sa famille politique, le Parti socialiste, ne pouvait rien pour lui, au contraire : le PS était devenu une fédération d’officines dont la principale occupation consistait à se dégommer entre elles. Plus aucun corpus philosophique ou politique ne structurait ce ramassis d’ambitieux sans scrupules. Quant aux médias, ils étaient souverains. Ils décidaient qui et quand ils tuaient, à volonté. Des insinuations suffisaient, puisqu’il s’agissait de déclencher des émotions. La raison était inopérante face à une foule, une opinion. Tous et tout se liguaient contre lui.

Et puis il y avait la conscience : à quoi cela sert-il qu’un journal vous donne raison si vous savez que vous avez tort ? « L’œil était dans la tombe et regardait Çaïn ». Oui, l’œil ne le lâchait pas. Il avait merdé. Pas tant pour les 600 000 € stockés en Suisse, à Singapour depuis 2010, que pour la succession de dissimulations auxquelles il avait procédé au fil du temps et qui avaient fini par s’accumuler pour l’obliger à mentir, aux Impôts, au Président, aux députés, aux Français. Il avait dissimulé ce compte quand il s’était lancé en politique, se disant qu’il régulariserait ensuite, et puis il avait été pris par ses succès et n’avait jamais pu revenir en arrière.

Parfois, il se parlait à lui-même, deux voix dialoguaient dans sa tête :

– Tu as pêché, vieux.

– Ah, ne m’emmerde pas avec ce concept moralisateur ! 

– Tu as tort. Si tu te reconnaissais pêcheur, tu pourrais demander le pardon.

– Trop facile. C’est pratique cette croyance : puisque nous sommes tous pêcheurs et que le pardon existe, eh bien pêchons et demandons pardon ensuite ! Je ne mange pas de ce pain-là. 

Et il continuait à s’emmurer dans le mensonge.

Tout ça pour quoi ? Pour que l’État ne prennent pas 300 000 € sur les 600 000 ? Ça paraissait tellement dérisoire. Est-ce qu’on était moins heureux avec 300 000 € qu’avec 600 000 ? Non, bien sûr. Mais il y avait sa femme, ses enfants, ses ambitions… Tout ça avait fait que… d’autant que le puritanisme était bien moins prégnant il y a 20 ans. Le compte en Suisse, dans les cercles qu’il côtoyait, c’était la norme. Oui, la norme ! Mais il aurait dû sentir l’évolution et agir en conséquence. Sa faute était de ne pas avoir rapatrié ce compte et régularisé sa situation auprès du fisc français quand il était encore temps. Certes, il y avait aussi le compte sur l’Île de Man, géré par Patricia, et les chèques de clients déposés sur le compte de sa mère. Il s’était laissé entraîner… Il aurait pu avouer ces erreurs de jeunesse, qui, révélées assez tôt, n’auraient pas nui à son crédit et à son ascension. Mais il avait laissé passer l’occasion et s’était enfermé dans une fuite en avant dévastatrice. De petites faiblesses provoquaient un grand malheur.  

La conscience, c’était aussi son père et sa mère. Le premier, mort en 2005, ne sut rien de cette sombre histoire ; c’était, si l’on peut dire, un soulagement. Mais sa mère, elle aussi  personne à haute valeur morale, engagée tôt dans la Résistance, était encore là et subissait les révélations douloureuses sur la fraude et les mensonges de son fils. Elle subissait surtout le délitement d’une famille qui allait avoir du mal à se remettre des coups qui lui étaient assénés. D’autant que lui comme les autres découvraient avec stupéfaction que son ex-épouse avait en quelque sorte été meilleure que lui en matière de dissimulation fiscale puisque, peut-être pour se venger des aventures de son mari, elle commençait à tout déballer. Ce drame sentimental rendu public l’humiliait plus que tout. Lui qui avait toujours su garder sa vie privée, se montrer digne, résister à la peoplemania, voilà qu’il en était réduit à la vengeance d’une blonde et au sordide du linge sale jeté à la rue. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Il n’y a pas que le monde qui débloquait ; eux aussi étaient devenus fous.

Par moments, il rêvait de marcher seul le long du Lot, depuis son ancien fief électoral de Villeneuve jusqu’au Cantal, à l’Aveyron, à la Lozère, se ressourçant en remontant la rivière que par endroits on appelait l’Olt. D’autres fois, c’est la Corse qui le tentait, le village de Pianottoli-Caldarello, tout en bas de l’île, là où les Cahuzac étaient établis de longue date et acceptés comme des insulaires d’origine. Mais il était encore ministre, il ne pouvait pas fuir. Ministre, bon sang ! Ce qui aurait dû être le couronnement de sa carrière se révélait un calvaire. Il y avait Laura, heureusement. Mais même sa nouvelle compagne, qui ne l’avait pas quitté depuis le début de l’affaire, qui au contraire s’était rapprochée de lui, puisqu’ils vivaient ensemble maintenant, ne pouvait plus adoucir sa peine.  

Il enchaînait donc les réunions, les déclarations, les discussions, surtout avec ses collègues du gouvernement. En tant que chargé du budget, il avait un rôle ingrat, que l’on pouvait résumer ainsi : dire non. Il ne rencontra pas un ministre qui ne cherchât à augmenter ses ressources. Il fallait donc expliquer, puis refuser. Le problème est que parfois le Président ou le Premier Ministre disait oui, après lui. Ceci étant, cela n’arriva pas si souvent. La plus insupportable était l’écologiste Cécile Duflot, qui, avec son directeur de cabinet, arrivait avec des demandes exorbitantes en se targuant de l’onction présidentielle. Comme il refusait d’obéir aux oukases de ces tyrans verts, l’hystérique rétorquait : 

– Si c’est comme ça, j’appelle François.

Il ne serait pas étonné qu’elle soit une des premières à le calomnier si d’aventure il perdait son poste.

Au Parlement, il fallait faire voter les textes par la représentation nationale. Depuis neuf mois qu’il était en poste, il en avait déjà défendu six : le projet de loi de finances rectificative, la loi organique de déclinaison du traité européen, le projet de loi de finances, le projet de loi de finances de la Sécurité Sociale, un nouveau projet de loi de finances rectificative, la loi de programmation des finances publiques.

Pendant un mois, il n’y eut pas de nouvelles révélations. La presse n’avait-elle plus rien dans sa manche ? Il en doutait. Le plus gros risque était le suivant : que Médiapart fasse authentifier l’enregistrement de 2000, cette conversation qu’il avait eue avec son conseiller fiscal, dans laquelle il évoquait son compte en Suisse, conversation enregistrée sur un répondeur parce qu’il n’avait pas coupé la conversation précédente comme il le pensait. C’est cette fausse manip qui avait donné à un de ses rivaux politiques en Lot-et-Garonne l’élément qui permit de déclencher, certes au bout de douze années, « l’affaire Cahuzac ». Les journalistes trouvèrent un autre témoin, un agent du fisc, pour affirmer l’existence d’un compte en Suisse, mais celui-ci se basait sur la même source. Sans cette conversation téléphonique enregistrée à son insu, rien ne serait sorti. À quoi tient un destin ?

C’est le 15 mars que Médiapart, par l’intermédiaire du journaliste Fabrice Arfi, lança une nouvelle roquette : les experts et témoins interrogés confirmaient que la voix de l’enregistrement était bien celle de Jérôme Cahuzac (+2 sur une échelle de –2 à +4), qui avouait détenir un compte en Suisse et être embêté par ce compte. L’authentification tant redoutée avait eu lieu.

Cette fois, l’abattement l’emporta sur l’euphorie. Les chiens ne faibliraient pas. Les soutiens eux allaient lâcher. Le ministre ne pouvait plus ni dormir ni manger. Son rythme de travail était pourtant harassant. Sa concentration devait être maximale au moins douze heures par jour. Et il fallait sans cesse donner le change : en réunion, en représentation, en négociation. Il n’allait pas tenir, il épuisait ses réserves, il se mettait en danger.

Le 19 mars, la justice suivit la presse : quelle inversion des rôles, quel symbole ! Le Procureur Molins ouvrait une information judiciaire pour « blanchiment de fraude fiscale ». Un juge allait être désigné. Et la Suisse serait de nouveau interrogée, cette fois dans le cadre d’une « demande d’entraide pénale internationale ».

L’information lui parvint alors qu’il était à l’Assemblée Nationale, pour la séance des questions au gouvernement. Il se liquéfia, de l’intérieur. En apparence, il se crispa encore un peu plus. Il était scruté, filmé, il devait donc encore sauver les apparences, mais il savait que cette fois il ne pourrait pas rester au gouvernement. Le Premier Ministre le lui confirma dans l’après-midi, sans méchanceté, avec humanité. Il le comprit : lui et le Président étaient obligés de se séparer d’un ministre soumis à une enquête judiciaire.

Il quitta le Palais Bourbon et s’en alla rédiger sa lettre de démission. Il diffusa ensuite un communiqué dans lequel il pointait « le caractère calomniateur des accusations » et affirmait qu’il allait désormais consacrer toute son énergie à prouver son bon droit. Mais il n’y croyait plus. D’autant qu’il ne pouvait rien faire. Comment agir, que dire, que produire qui prouverait son innocence… puisqu’il était coupable ? D’une peccadille, mais coupable.  Pouvait-il détourner l’attention ? Il n’avait pas le pouvoir de créer des catastrophes mobilisant l’opinion. 

Il fallut retourner au Ministère. Ce serait la dernière fois, il le savait. Il s’inquiéta pour les collaborateurs de son cabinet. Ils allaient « sauter » avec lui, telle était la règle. Il essaya de voir chacun.

– Et vous, ça va aller ? les questionnait-il, comme s’ils étaient aussi touchés que lui. Je demanderai à mon successeur de vous garder auprès de lui. Si cela ne marche pas et que vous avez un problème de rebond, appelez-moi. Je verrai ce que je peux faire. 

Et il ajoutait, dans un sourire triste :

– Il reste peut-être une ou deux personnes qui accepteront mes recommandations.

Il fut surpris de la chaleur de ces brillantes personnes, têtes pensantes de l’économie et de l’administration françaises, qui l’assuraient de leur soutien, lui affirmant combien ils regrettaient son départ et combien ils avaient aimé travailler avec lui. 

On décida de boire un coup, tous ensemble, dans son bureau. Parce qu’on était fier du travail accompli ensemble. Alors que, dehors, « comme dans un bouquin de Philippe Djian, le ciel était noir et menaçant », là, à l’intérieur du Ministère le plus puissant de France, les membres du cabinet réconfortaient leur ministre. Cette gentillesse le bouleversa. Il faillit pleurer, là, dans son bureau de Bercy qu’il devait quitter dès ce soir. Moscovici allait-il prendre le Budget en plus de l’Économie ? Hamon récupérerait-il son poste ? Le Président voudrait-il profiter de la vacance pour faire un heureux ? Finalement, c’est Bernard Cazeneuve qui fut nommé, dès le lendemain. Et qui accepta de conserver l’ensemble de son cabinet, à l’exception des ses deux conseillers en communication : la première choisit de quitter le monde politique, le second prit en charge l’image des Aéroports de Paris. 

Le 22 mars, son avocat suisse lui apprit que la banque Reyl, qui avait accueilli ses 600 000 € en provenance d’UBS avant qu’il ne transfère ceux-ci à Singapour, allait être perquisitionnée par le parquet de Genève. Il tenta une ultime démarche en allant consulter un ténor du barreau parisien, Jean Veil, par l’intermédiaire d’un ami commun. L’avocat ne lui cacha pas que lui-même était convaincu de l’existence d’un compte dissimulé, qui serait découvert, et qu’une défense efficace ne pourrait s’organiser qu’après des aveux. Il fut soulagé par ces propos. En effet, il n’était plus possible de nier alors que l’évidence allait s’imposer. Le 26 mars, Jérôme Cahuzac écrivit aux juges Le Loire et Van Ruymbecke, qui avaient été désignés pour instruire l’affaire ; il demandait à être entendu au plus vite.

Une audition fut fixée au 2 avril. C’est là, au « Pôle financier » du tribunal de Paris, dans le cabinet de ces pointures de la magistrature française, qu’il se libéra enfin du mensonge qu’il portait depuis vingt ans. Oui, au début des années 90, il avait ouvert un compte en Suisse pour y verser des revenus non déclarés issus de la clinique d’implants capillaires qu’il avait montée avec son épouse, médecin comme lui. C’était si dérisoire… Dans ces mêmes murs du Palais de Justice de Paris, passaient des assassins, des trafiquants de drogue, des chefs de réseaux de prostitution, des terroristes, des escrocs qui avaient volé des particuliers et des institutions… Et lui se retrouvait là parce qu’il avait mis son argent de côté puis s’était piégé dans le mensonge. Il eut un rire nerveux. Van Ruymbecke le regarda, sourit. Il était probable qu’il se dise lui aussi : « C’est con, hein ? », « Tout ça pour ça ? ».

Oui, la nature humaine était faible. Et les hommes sont bêtes, même les plus intelligents. En sortant de cette première audition, il leva les yeux vers le ciel. En serait-il bientôt privé ? Irait-il en prison ? Les magistrats n’avaient encore rien dit, mais il serait sans doute jugé en correctionnelle. Il baissa les yeux et regarda la Seine. Et s’il sautait ? Il y avait pensé, bien sûr. C’était la solution. Mais pour lui seulement. Pour sa mère et ses enfants, peut-être pour quelques autres, ce serait un nouveau problème, une nouvelle honte. Il ne pouvait pas leur imposer cela en plus du reste.

Rentré chez lui, il donna le feu vert à son fidèle assistant resté à Villeneuve-sur-Lot, pour publier sur son blog le communiqué qu’ils avaient préparé. Pour une fois, il allait devancer la presse. De quelques minutes seulement, car les journalistes en chasse eurent tôt fait de repérer puis relayer l’info. Dès lors, ce fut une déferlante. « C’était donc vrai », « Il avoue enfin », « Les yeux dans les yeux je vous ai menti », « Le mensonge du siècle »… Le mensonge du siècle… Et puis quoi encore ?

Tandis que sa réponse au député Fasquelle à l’Assemblée, son interview avec Jean-Jacques Bourdin, une photo le montrant derrière un pupitre recouvert d’une pancarte « Lutte contre la fraude fiscale » envahissaient les écrans, il passa toute la fin d’après-midi à envoyer des textos, à téléphoner à ses amis et à sa famille. Pour s’excuser avant tout. Il varia les formules selon ses interlocuteurs, mais le mot qui revenait dans chacun de ses message était « pardon ». Pour quelqu’un qui refusait le binôme péché-pardon, cette lâche facilité, c’était réussi… « Même à vous, mes amis, j’ai dû mentir ». C’était une douleur. Il comprendrait que certains ne le lui pardonnent pas.

À un député proche, il écrivit : « Pardon d’avoir abusé de ta confiance. Il me reste à trouver le courage pour assumer une vérité que rien ne m’obligeait à dévoiler sinon que le mensonge était en train de me tuer. Merci, je t’embrasse si tu me le permets ». À un ministre, il dit : « Pardon pour le tort que je vous cause. La vérité fut indicible. Quand j’ai dû m’exprimer la première fois, ce mensonge en a entraîné un autre et puis un autre. Ma vie est fracassée par une faute commise il y a vingt ans, dans une vie antérieure. J’ai donc menti à mes enfants, à la femme que j’aime, à mes amis, à mon avocat, à mes collaborateurs, à toi, au Président, au Premier Ministre, à tout le monde. Je demande pardon sans rien espérer, ni compassion ni indulgence. Bon courage à vous tous ».

Si ces personnes prévenues par lui ne l’accablèrent pas – il y eut cependant quelques non-réponses qui en disaient long sur le sentiment de leurs auteurs – la télévision, Twitter et Facebook débordèrent de cruauté. Chaque quidam lança sa pierre. « Que celui qui n’a jamais pêché… ». Oubliée, la phrase du Christ. Il méritait l’opprobre et la lapidation. Quand les lionnes capturent le plus costaud des buffles, elles le dépècent entièrement. Puis viennent les hyènes, les vautours, les cafards, les mouches, les vers. Ça fait du monde. 

Il était 21 heures.

– J’y vais, annonça-t-il à Laura.

– Où ?

– Je… Je ne sais pas.

– Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu habites ici !

– Je ne sais plus où j’habite.

– Ce n’est pas parce que la presse te lynche et que les politiques t’abandonnent que tu es seul. Tu as encore des amis, tu viens de le vérifier. Tu as aussi tes enfants, ta mère. Et moi. Et sans doute y a-t-il également quelques Français qui te comprennent.

Il était sur le point de pleurer.

– J’ai besoin de quitter Paris, au moins quelques jours. La prochaine audition n’est que la semaine prochaine. Il faut que je prenne l’air avant.

– Alors je viens avec toi.

– Tu ferais ça ?

– Je peux annuler mes rendez-vous pendant deux jours. Cas de force majeure.

Il la regarda, éperdu de reconnaissance pour cette femme qui lui accordait une tendresse qu’il n’était pas sûr de mériter.

– J’ai une condition, ajouta-t-elle.

– Vas-y.

– Tu coupes ton téléphone.

Il le fit sur-le-champ. 

C’est ainsi que l’homme le plus haï de France quitta la capitale dans la voiture de sa compagne, qui avait exigé de conduire, l’estimant trop fatigué pour prendre le volant. Ils prirent une direction connue d’eux seuls et il réussit à passer inaperçu pendant 72 heures. Surtout, il dormit. Et il marcha au grand air, sa main dans celle de Laura. Il parla peu. Il était gravement blessé, mais il n’était pas mort. Tant qu’il reste une femme pour l’aimer, un homme n’est pas perdu. 

4 commentaires

  1. Un feuilleton écrit avec brio et qu’on lit d’un trait. J’apprécie l’empathie à l’égard d’un homme puissant qui tombe. Je suis gêné par la mansuétude à l’égard de quelqu’un qui, à son poste, devait donner l’exemple. Mais c’est vrai qu’il n’est pas simple de juger tous les comportements. D’ailleurs Pierre-Yves Roubert ne cherche pas, me semble-t-il, à juger cet homme, il le comprend et en fait un personnage presque attachant. Deux questions proches pour terminer : quelle résonnance, huit ans plus tard, avec notre actualité et pourquoi écrire sur cette affaire aujourd’hui ?

    Aimé par 1 personne

    1. Merci pour ton regard, Jean-Claude. J’essaie de me mettre dans la peau du personnage. Les années ont passé, c’est vrai, et je me demandais ce que devenait cet homme condamné et banni de tous. Le 3e épisode la semaine prochaine parlera de l’après aveux, des procès et de la tentative de réhabilitation. Il me semble qu’aujourd’hui les médias sont toujours plus puissants et que beaucoup de gens sont encore plus bêtes et méchants (sauf pour leurs proches et eux-mêmes).

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