Le cadeau

Publié par

(environ 5 minutes de lecture)

– Allo, Monsieur Blavozy ?

– Oui.

– Bonjour. Excusez-moi de vous déranger, mon nom ne vous dira rien, je suis Alban Fraysse, le mari de Manon, la vendeuse de la boulangerie Piquet.

– Oui, d’accord ! Je vois très bien. Enfin non d’ailleurs, je la vois plus. J’ai demandé au patron où elle était, il m’a répondu qu’elle était arrêtée. Il n’a pas voulu m’en dire plus, je n’ai pas insisté. Est-ce que… la maladie est revenue ? 

– C’est pour ça que je me permets de vous appeler.

– Aïe aïe aïe… Elle a fait une récidive ?

– Ils ont retrouvé une tumeur, plus petite que la première, mais c’est pas une bonne nouvelle. 

– Comme vous dites, c’est pas une bonne nouvelle. Et c’est pas juste. Votre femme est si courageuse, si positive !… L’âme de la boulangerie, c’est elle. Il faut voir l’enthousiasme, la chaleur, la générosité qu’elle diffuse quand elle est là ! On a l’impression que son seul souci est de faire plaisir aux gens. Toujours une attention, une douceur, un sourire. Un vrai sourire ! Pas le sourire commercial. Le sourire qui vient du cœur.

– C’est gentil, ce que vous dites. Et c’est drôle, enfin étonnant, parce qu’elle dit la même chose de vous.

– Mais moi je passe 5 minutes tous les deux jours. Elle, elle est là tous les jours, pendant 8 ou 10 heures, dès l’aurore ! Elle a de la route en plus… Vous habitez loin, je crois ?

– On est à 50 km de la boulangerie.

– Vous vous rendez compte ? Jamais elle ne se plaint. Et… elle a été réopérée ?

– Oui, avant-hier. Ils ont enlevé la tumeur, nettoyé autour. Mais elle a perdu des forces et il faut que le circuit se remette en place. Et puis on craint que ça reparte à d’autres endroits.

– Mon Dieu… C’est horrible. Pour vous aussi, ça doit être dur. Et votre fille, elle n’est pas trop perturbée ?

– Y’a 4 ans, ça avait été difficile, elle n’avait que 13 ans. Elle est plus grande maintenant. Mais on voudrait pas que ça la fasse mal travailler à l’école. C’est l’année du bac.

– Eh bien… Votre rôle est sacrément important, M. Fraysse, pour vos deux femmes. Elles ont de la chance de vous avoir.

– Merci. Je fais au mieux.

– Est-ce que je peux vous aider à quelque chose ?

– Oui, peut-être. C’est pour ça que je vous appelle. Manon a un coup de mou, là. Moralement, je veux dire. Elle pense qu’elle va pas s’en sortir, elle a peur. Surtout de nous laisser…

– Je la reconnais bien. Toujours à penser aux autres, même dans les pires moments…

– Oui, ça ressort dans ses propos. Et puis l’autre jour elle a craqué. Elle m’a avoué qu’elle avait très peur. Qu’elle retrouvait plus sa force, qu’elle se reconnaissait plus.

– Quelle tristesse…

– Je sais plus quoi faire. Sa mère et sa sœur non plus. Alors j’ai pensé à vous. 

– Vous voulez que j’aille la voir ?

– Si vous êtes d’accord. Je crois que ça lui ferait du bien de parler avec vous. De lui montrer qu’on l’attend à la boulangerie. Son patron, c’est pas vraiment un psychologue…

– Je vais venir. Bien sûr.

– Ça ne vous dérange pas ?

– Non. Ce qui me dérange, c’est d’avoir attendu votre appel pour y penser.

– Vous pouviez pas savoir.

– Si, j’aurais dû prendre les devants. Je voyais bien qu’elle ne travaillait plus et je savais qu’elle avait été malade.

– Vous aussi, je crois…

– Moi, ce n’était rien, comparé à votre femme. Et je suis plus âgé, c’est dans la logique des choses. Une femme de 38 ans, non. Elle est au C.H.U. ?

– En oncologie. Chambre 326.

– Je passerai demain à 18 heures, en sortant du boulot. Est-ce que ça ira ?

– Très bien. Mais ça peut attendre ce week-end. Vous avez votre travail, votre famille…

– J’y retournerai ce week-end. Et tous les jours si ma présence peut être utile. On décidera ensemble, vous me direz.

– C’est vraiment gentil de votre part. Ce sera un beau cadeau pour elle.

– C’est vous, M. Fraysse, qui m’offrez un cadeau. Non seulement vous m’apprenez que votre épouse vous a dit des choses gentilles sur mon compte, en plus vous me donnez l’occasion d’être un peu moins égoïste, et, encore mieux, d’être utile. C’est énorme.

– Je crois que vous inversez les choses.

– Non, croyez-moi, vous m’apportez beaucoup. Alors maintenant, je vais tout faire pour aider votre femme à retrouver des forces pour se battre, pour la distraire, pour l’accompagner dans ce moment terrible. Ça ne remplacera pas votre rôle, bien plus important, mais si je peux contribuer, tant mieux. Et quand elle sera guérie, parce qu’elle va guérir, et qu’elle reprendra sa place à la boulangerie, alors là M. Fraysse, ce sera encore un cadeau, un des plus beaux que j’aie jamais reçus !

3 commentaires

  1. Une nouvelle dans une catégorie qui fait du bien …De la puissance de l’amour et de la solidarité .
    Merci M. Roubert pour ce bon moment de lecture ; on aime à croire qu’il y a de vous à la fois dans M. Blavozy et dans Manon la boulangère : la capacité à donner des coups de main à ceux qui vous sollicitent ou à ceux chez qui vous sentez le besoin d’être aidés.

    Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s