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Il était 16 h 30 quand Pascal fut appelé par son patron.
– T’es sur quoi ?
– Une chaudière à gaz. Disons une usine. Une Dietrich de 40 ans…
– Laisse tomber, y’a urgence. Y’a de l’eau qui dégouline chez une femme de la tour Marsan, quartier des Quatre Vents. C’est un immeuble de l’Office, un gros client, j’ai pas besoin de te faire un dessin.
– Bon. J’ai pas le droit de gueuler, alors ?
– Tu comprends vite, Pascal, c’est pour ça qu’on t’aime.
Pascal expliqua au propriétaire qu’il devait partir sur une urgence, et que de toute façon il n’avait pas la pièce pour remplacer celle qui était cassée.
Le type grimaça.
– Je reviens demain matin au plus tard, dit Pascal. La température de la maison aura à peine le temps de baisser.
– Avec 0° dehors ? Je suis vieux, mais pas con.
– Écoutez, je ne vous oublie pas. Mais là, y’a une inondation dans un immeuble.
Le type pas con consentit, et Pascal lui en fut reconnaissant.
Il sécurisa la chaudière, rangea son bazar, puis prit la direction de la Cité des Quatre Vents, qu’il connaissait ; en revanche, il était incapable de dire laquelle était la Tour Marsan, et il ne savait pas à quelle rue et numéro elle correspondait. Il se renseigna auprès de jeunes qui n’avaient pas des têtes de trafiquants et trouva une place en bas de l’édifice.
Il se saisit de l’aspirateur dans le sac à dos ainsi que de sa boîte à outils, chercha le nom, sonna, s’annonça et prit l’ascenseur jusqu’au 9e. Une fois dans l’appartement, il comprit vite que l’humidité qui avait déjà bien abîmé un mur et le plafond venait de l’appartement au-dessus :
– Je suis montée, s’indignait la locataire. Ils ont dit qu’il n’y avait pas de fuite chez eux et que le problème venait de moi !
– À mon avis, ils se trompent. Je vais voir et je redescends.
Pascal gravit les deux volées de marche jusqu’au palier du dessus. Il fallut plus d’une minute après le coup de sonnette pour qu’on lui ouvre :
– C’est pour quoi ?
– Entreprise Thermix, Madame, nous sommes chargés de l’entretien de l’immeuble par Auvergne Habitat. Il y a un dégât des eaux dans l’appartement du dessous, je dois d’urgence regarder le vôtre.
Elle hésita un instant, puis finit par lui ouvrir la porte. Il entra et son odorat fut de suite surpris par une odeur de sous-bois, de champignons. À l’intérieur d’un HLM, c’était étonnant.
Un homme apparut, en chaussettes, mais en tenue de… jardinier.
– Bonjour Monsieur. Je peux aller voir les pièces du fond, s’il vous plait ? C’est à ce niveau-là que ça coule en dessous.
Comme l’homme et la femme, environ 70 ans l’un et l’autre, ni ne bougeaient ni ne parlaient, Pascal s’avança. Alors il vit ce qu’en trente ans de métier il n’avait jamais vu : la chambre du fond à gauche avait été transformée… en potager ! Sur une vingtaine de centimètres de terre noire, étaient plantées des tomates, des salades, des courgettes, et encore quelques séries de tiges et feuilles sans légumes. Dans un coin de la pièce d’une douzaine de mètres carrés, se trouvaient une pioche, une bêche et un arrosoir.
Sans voix, se retournant pour interroger les locataires du regard, Pascal remarqua que la pièce d’en face avait elle aussi été privée de sa porte, remplacée par un rideau. Il écarta le rideau et découvrit… un parterre de fleurs. Des roses, des tulipes et des iris s’épanouissaient sur une bonne épaisseur de terre humidifiée.
Pascal sidéré regarda ses interlocuteurs qui s’étaient rapprochés de lui. Étaient-ils fous ?
– Mais enfin, Madame, Monsieur, vous vous rendez bien compte que vous dégradez l’appartement !… Comment… Comment vous arrosez ?
– On a mis une double bâche sous la terre, et on arrose très progressivement, par petites quantités. On n’a jamais eu de problèmes, depuis 8 ans. Si vous dites qu’il y en a un aujourd’hui, c’est que les bâches ne doivent plus être étanches ; on va les changer.
– Ça fait 8 ans que vous faites ça ?!
– Oui. Les enfants et les petits-enfants ne couchent plus jamais là, maintenant ; alors autant utiliser l’espace intelligemment.
Pascal n’était pas sûr que le mot « intelligemment » soit le plus adapté, mais il voulait essayer de comprendre.
– On a monté la terre nous-mêmes, reprit l’homme, petit à petit, en trois mois. On était plus jeunes, à l’époque…
– Mais… un jardin dans un appartement, ça ne se fait pas !
– C’est dommage, dit la femme. Ça ferait du bien aux gens. Et en jouant avec les fenêtres et les radiateurs, on peut facilement régler la température et l’humidité. On a de bons légumes toute l’année.
– Et des fleurs… ajouta l’homme. On en donne beaucoup.
– Mais le plâtre, le carrelage, la peinture, la tapisserie, ne sont pas compatibles avec la terre, l’eau, les racines !…
La femme intervint :
– Pardonnez à mon mari, Monsieur. Pendant toute son enfance, il n’avait pas de toit sur la tête. Il est né dans le désert. Alors dans cette tour, il a du mal.
Pascal était intéressé, soudain. Une certaine logique apparaissait.
– Et vous ?
– Moi, c’est le contraire : j’ai toujours vécu dans des appartements trop petits. On passait du toit de l’usine au toit de la cité. À Saint-Étienne La Métare, je sais pas si vous connaissez ? On était ce qu’on appelle le prolétariat, des ouvriers si vous voulez.
Le mot étonna Pascal, on ne l’utilisait plus. N’y avait-il plus d’ouvriers ?
– Bon. Écoutez. Pour l’instant, il faut arrêter les infiltrations, et reprendre l’étanchéité.
– Mais comment on va faire ?
Il n’avait pas la réponse à cette question. Il voulait en parler à son patron. Et prendre le temps de réfléchir à ces gens qui, pour de bonnes raisons, avaient trouvé une manière originale de se rapprocher de la nature qui leur manquait tant.
Cher Pierre-Yves,
Juste pour te dire que j’ai adoré lire cette nouvelle qui m’a apporté une évasion florale et olfactive dans un lieu improbable… une nouvelle fois tu as su trouver les mots qui gagnent pour remporter l’adhésion de tes lecteurs et les transporter dans ton univers.
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Voilà une drôle d’histoire qui parle au citadin que je suis, détenteur d’un lombricomposteur dont la myriade de vers élimine une bonne partie de mes déchets verts.
La végétalisation des toitures est peut-être plus pérenne et moins problématique pour le voisinage.
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Je lis ta nouvelle en prenant mon p’tit déj sur mon balcon au milieu de mes fleurs, tomates et fraises. Mon pied de pommes de terre est déjà arraché….et les graines de potirons n’ont pas germé!
Heureusement pour mes voisins que je dispose de balcons.
J’en ris encore en laissant mon commentaire.
Est-ce pure imagination de ta part où est la part de vérité?
Merci d’éclairer mon samedi matin qui ne s’annonçait pas trop gai.
Bises
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Très jolie idée. Vous avez inventé l’histoire? Elle pourrait être vraie.
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