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Monsieur le Maire,
Je vous écris à propos du parc de la mairie. Je m’y rends trois fois par mois pour une pause sandwich entre 12 h 35 et 13 h 15 lorsque j’anime une formation pour un organisme situé à 5 km, à l’est de la ville. Lorsque cela est possible, je préfère en effet ne pas déjeuner dans une cafétéria et aller prendre l’air.
Il m’a fallu plus d’un an avant de tomber sur votre parc. J’ai commencé par me garer sur le parking d’une zone commerciale après être passé au Macdrive du coin. C’était peu glamour, mais préférable à un restaurant administratif. Au bout de quelques mois, j’ai osé m’aventurer plus loin, pas trop quand même, mon temps étant compté. Je suis alors tombé sur une boulangerie formidable, pleine de sandwichs de toutes sortes, de wraps, de bagnats, de quiches diverses et délicieuses. De tels trésors méritaient mieux que le parking d’un hypermarché pour être savourés. J’ai alors déniché une rue calme et boisée dont j’ai profité pendant six mois.
Et puis un jour où j’avais dix minutes de plus que d’habitude, j’ai pris une autre route au rond-point après la boulangerie, direction le centre de cette commune de banlieue où je me trouvais. Là, juste avant de parvenir à la mairie, votre siège donc, j’ai découvert le grand parking sur la droite ; et, contigu, le parc splendide qui m’incite à vous adresser ce courrier.
J’ai commencé par l’appréhender de loin. La première fois que je me suis garé sur le parking, je suis resté dans la voiture. Il pleuvait des cordes. Mais à travers le pare-brise bombardé d’eau, je commençais à prendre la mesure de ce qu’il y avait derrière les grilles : la majesté des arbres, la qualité des massifs, la beauté des pelouses, le dessin des allées.
La deuxième fois, un vent du nord décourageait l’envie de s’éloigner trop d’un abri sûr. Je suis toutefois sorti de la voiture pour déguster mon bagnat et boire mon Ice Tea, me suis approché pour mieux voir, mais n’ai pas été jusqu’à l’entrée, située au niveau de la route, vous le savez, bien sûr.
C’est à la troisième approche que je me suis risqué à l’intérieur du parc, un sandwich à la main. Quel plaisir de sentir le craquement de la terre pilée sous mes pas, tandis que j’avançais lentement vers ce qui semblait un rond-point centré par une fontaine. Un rond-point pour piétons, pour flâneurs, et même pour moi seul, puisque je paraissais l’unique humain de cet éden. La fontaine à double vasque était pleine, vivante, elle crépitait de jets et de cascades, et je me suis assis sur un des bancs qui l’encerclaient pour profiter de son chant.
Je me suis levé pour m’éloigner encore de la grille et du parking, en direction d’un sous-bois peuplé d’arbres que je qualifiai aussitôt de valeureux. Je n’y connais pas grand-chose en arbres, mais je repérai des acacias, des ifs, un micocoulier, différentes sortes de résineux, et deux séquoias. Ce sont eux, je crois, qui donnaient ce caractère valeureux au bosquet, car sans doute avaient-ils été importés cent cinquante ans plus tôt et ils poussaient hors de leur milieu naturel de l’ouest américain. Mais ils avaient pris leur place ici et, me disais-je, ils tiraient les autres vers le haut. Tous avaient tenu sans déchoir face au béton et au goudron, équilibrant ce coin d’urbanité avec de belles harmonies de vert.
J’ai touché le tronc des séquoias, senti leur moelleux si surprenant pour de tels colosses. J’ai zigzagué entre les arbres, apprécié cette fois sous mes pieds le tapis des aiguilles prises dans la mousse, j’ai souri en repérant des cachettes parfaites pour les enfants dans des racines enchevêtrées, et puis je suis sorti de ces ombres, longeant un mur d’enceinte pas trop haut derrière lequel s’étalaient jardins et pavillons, marchant jusqu’à l’angle opposé.
Alors j’ai découvert le panorama qui s’étendait devant moi, l’agglomération dans son ensemble, les centaines de milliers de constructions et d’habitants, presque surréalistes depuis ce poumon d’air libre. J’ai regardé, respiré, admiré ; puis je me suis tourné, pour voir la mairie jusque-là dans mon dos. J’ai pu englober le parc, comprendre sa configuration générale, une espèce de rectangle arrondi, les pelouses, les massifs et les bordures au milieu, les arbres que j’ai évoqués au sud, l’esplanade avec vue sur la ville à l’ouest, les grilles et les bancs au nord, à l’est le château de la mairie avec ses tours crénelées.
Je baissai les yeux pour admirer d’incroyables longueurs de tulipes rouges. Combien y en avait-il ? 500 ? 2 000 ? 3 000 ? Comment faites-vous, Monsieur le Maire, pour financer ces fleurs ? Ça ne coûte pas si cher ? C’est magnifique, il est vrai. Je vis aussi des rhododendrons, un magnolia, des prunus.
J’ai résisté à la tentation de repasser par le centre en direction de la fontaine, mon temps disponible s’achevait. J’ai laissé un autre petit bois dans un angle, avec de beaux feuillus, des hêtres peut-être. J’ai retrouvé la longueur de la grille de fer forgé, au milieu de laquelle se trouvaient deux constructions, des toilettes publiques d’abord – il en faut, vous avez raison – et, juste après, une ancienne maison de gardien sans doute, du temps où la mairie était un château. Quelques siècles plus tôt, Monsieur le Maire, et nous vous aurions appelé Mon Seigneur.
Arrivé au portail, qu’avisai-je ? Une boîte à livres ! Quelle excellente idée, pensai-je, ici précisément, comme si l’on offrait un cadeau de départ au visiteur. Je soulevai le couvercle en plexiglas, parcourus les tranches et saisis un volume qui pouvait me plaire. Il me sembla que c’était honorer les initiateurs que de prendre ce qu’ils proposaient. Je lirai ce roman si bien offert.
Je me tournai pour embrasser le parc une dernière fois, aperçus encore d’autres arbres, une série de remises là-bas – pour les services techniques ? –, des fleurs encore, des chemins. Comment se fait-il qu’il y ait si peu de monde dans ce parc ? Un tel endroit est un cadeau, surtout en agglomération.
Bravo, Monsieur le Maire. Vous voudrez bien féliciter pour moi les agents chargés des espaces verts. Continuez, je veux dire ne changez rien. C’est bien comme ça. Il est vital que certaines choses demeurent immuables dans notre monde de mouvements permanents.
Pour finir, un aveu : je suis un homme, pas une femme. Je le précise car ce genre de lettre peut paraître plus féminin que masculin (c’est idiot) et mon prénom au bas de cette lettre ne vous permettra pas de déterminer mon sexe. S’il peut émouvoir un mâle comme moi, c’est une preuve de plus que votre parc est un lieu exceptionnel.
Je vous prie de croire, Monsieur le Maire, à l’assurance de ma respectueuse considération.
Dominique Sitbon.
Bonjour Mr Roubert, Vous me donnez envie de visiter ce splendide parc…..Pourriez-vous m’indique dans quelle commune il se trouve ? Merci par avance. Bien cordialement.
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Heureux que mon hommage vous donne envie de connaître ce parc municipal. Il se situe à Feytiat, juste à côté de Limoges. Il n’a rien d’exceptionnel, mais j’espère que vous y trouverez l’harmonie, l’apaisement et la beauté qu’il m’a donnés pendant quelques années.
Merci de votre fidélité à mes nouvelles,
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J’ai interprété le texte au second degré. J’ai compris qu’il soulignait des inégalités. Peut-être me suis-je trompée…
Et pour les boîtes à livres, pensez à en offrir un en retour, ce serait gentil.
Bonnes balades, bonnes lectures et n’oubliez pas d’aller voter.
Amicalement
Joëlle
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Chère Joëlle. Je n’avais pas vu, et encore moins voulu, ce second degré. Vous m’accordez donc plus que je ne mérite. C’est aussi la magie de l’écriture : l’écrivain expose, la lectrice (ou le lecteur) dispose. Les mots ont des échos, des résonances, des pouvoirs, et chacun.e n’en voit qu’une partie.
Quant aux boîtes à livres, je crois pouvoir répondre que je suis un gros contributeur. J’ai bien dû poser 500 livres dans celles de Brive en novembre et décembre, et j’en alimente une dans la commune où je me trouve actuellement.
Je vais voter. Vive la République, la démocratie représentative et la littérature, Py.
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Haaa très bien ça, quand on voit qq chose de bien fait il faut le dire aussi, habituellement on a surtout tendance à ne relever que ce qui ne vas pas… bravo!
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C’est le parc de la mairie de Feytiat qui m’a inspiré ce texte, tu dois connaître, même s’il ne vaut pas celui de Panazol…
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